Le casse-tête de l’accès aux droits sociaux pour les migrant·es âgé·es
Si l’article 12 de la Constitution suisse garantit à tout·e citoyen·ne dans le besoin une aide pour pouvoir continuer à vivre dans la dignité, le non-recours aux prestations sociales est, dans la réalité, préoccupant. A tel point que les cantons et les communes l’ont inscrit à leur agenda politique. Nombre de personnes éligibles à une prestation sociale, financière ou non, ne la reçoivent pas. Les raisons sont multiples: l’ignorance de l’existence de telles prestations, l’incapacité à faire aboutir une démarche complexe, l’omission ou l’inadéquation des informations de la part des préposé·es à l’aide ou encore la peur, la honte, la méfiance.
Comme le constate fréquemment le programme romand «Age et Migration» de l’EPER, une grande partie des personnes vieillissantes issues de la migration, du fait de vulnérabilités souvent inhérentes à leur parcours de vie, sont particulièrement prédisposées à tomber dans l’une ou plusieurs de ces catégories de non-recours. «Le système d’assurances sociales dans son ensemble et les procédures administratives sont trop complexes et ne permettent souvent pas l’accès à ces prestations par ce public», explique Elma Hadžikadunić, responsable du programme.
L’exemple de M. Santos, un Portugais arrivé à l’âge de 57 ans dans le canton de Vaud, est à ce titre significatif. Parti travailler dans des pays européens il y a douze ans pour subvenir aux besoins de sa famille restée au Portugal, il est arrivé en 2017 en Suisse, où, doté d’un permis B, il alterne les emplois précaires dans la construction. En 2022, il doit interrompre son activité professionnelle pour des raisons de santé. A cause des contrats dits «atypiques», qu’il a eus pendant cinq ans en Suisse, il ne peut prétendre qu’à quelques mois d’assurance perte de gain, puis à six mois seulement de chômage, car son état de santé le rend inapte au placement. M. Santos se retrouve donc sans revenu et dans l’incapacité de payer son loyer ou de subvenir à ses besoins vitaux.
Et c’est là que commence sa galère administrative. Au vu de son âge, de son parcours et de sa condition économique, il semble éligible à une rente-pont: une assurance sociale cantonale pour les personnes en fin de droit qui ont plus de 60 ans afin d’éviter qu’elles ne se retrouvent à l’aide sociale. Mais la commune qui le reçoit en premier lieu n’en fait pas la demande. Il va ainsi passer six mois de service en service pour tenter d’obtenir une aide. Il est prié de présenter une série de documents officiels du Portugal, notamment en lien avec la maison familiale de son épouse. Cela complexifie ses démarches et rallonge les temps d’attente.
M. Santos peine à remplir les différentes demandes et formulaires et abandonne sans donner suite. Il est toujours privé de revenu et d’aide, alors que son état, physique et psychologique, se dégrade. Sa situation devient critique. L’infirmière qui le soigne à domicile s’alerte. Elle contacte un autre organisme qui reprend l’intégralité du dossier depuis le début. Après plusieurs rendez-vous avec M. Santos, des appels aux précédent·es professionnel·les du réseau socio-sanitaire impliqué·es dans la situation, un soutien pour une demande d’aide d’urgence de l’aide sociale, une mise en contact avec les Cartons du cœur pour obtenir des denrées alimentaires, M. Santos reprend pied et reçoit enfin une aide. Et c’est là qu’une assistante sociale constate qu’il remplit les conditions pour une rente-pont! Après de nombreux échanges avec l’institution en charge d’octroyer la prestation, elle se rend avec M. Santos au guichet de sa commune, celui-là même qui n’avait pas donné suite à sa demande, pour que celle-ci soit enfin considérée.
Il aura fallu des mois d’attente sans revenu, plusieurs heures de consultation et de discussion ainsi que l’intervention de cinq professionnel·les pour que M. Santos touche enfin la rente à laquelle il avait pourtant droit dès le départ. «Si l’on considère les coûts générés, le nombre d’acteurs impliqués, et surtout la potentielle création supplémentaire d’inégalités, on conclut qu’un travail comprenant une analyse globale de la situation et la coordination entre les différents acteurs impliqués est nécessaire pour améliorer l’accessibilité aux droits sociaux», résume Elma Hadžikadunić.
Démarrage du projet pilote «Phase»
Lancé dans le cadre du programme cantonal «Vaud pour vous», «Phase» de l’EPER soutient des personnes de 50 ans et plus lors de transitions complexes en fin de carrière. Il consiste à les accompagner dans leurs démarches administratives en proposant une vision globale de leur situation, un suivi socio-administratif complet, et une coordination entre les différents acteurs du réseau socio-sanitaire vaudois. Ce projet s’adresse aux personnes connaissant mal le système, gênées par la barrière de la langue et disposant d’une faible littératie.
Joëlle Herren Laufer est responsable médias à l’EPER (Entraide protestante suisse), en collaboration avec le programme Age et Migration, www.eper.ch