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Un désastre total

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Il y a des moments où j’aimerais juste fermer mon ordinateur et partir loin dans les montagnes. Israël, Palestine: à quoi s’accrocher pour tenter de remettre d’aplomb la tête et le cœur? Aujourd’hui, les visions et les pensées se percutent, nous secouant d’émotions lourdes. La situation sur cette terre «sans peuple», comme le proclamaient les sionistes en 1948, a déjà fait l’objet de je ne sais combien de mes chroniques, dont aucune n’a été franchement optimiste et joyeuse. Comment fait-on pour protester contre l’intolérable, quand on le fait déjà depuis si longtemps?

Qu’avaient-ils donc dans la tête et dans les tripes ces dirigeants du Hamas, en décidant d’aller faire exploser leur furie meurtrière en Israël? Pour en tirer quels avantages? Habités par le désespoir du peuple palestinien sous occupation depuis 1948? Rendus fous par les guerres à répétition et la chape de plomb de l’interminable blocus de Gaza? Ils devaient pourtant s’attendre au châtiment effroyable qui est en train de pulvériser leur ville et sa population. Et qu’ont-ils donc dans la tête et les tripes ces quatorze Etats, dont les Etats-Unis, qui, à l’Assemblée générale de l’ONU, ont rejeté toute idée trêve humanitaire? Contempler sans broncher la mort brutale ou la mort lente d’un peuple enfermé dans son enclave et privé de tout, c’est une performance dont seuls des chefs d’Etat endurcis sont capables, mais c’est tout de même un crime.

Le 24 février 2022, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, ce fut un événement qui nous sidéra. Il avait quelque chose de théâtral par son énormité et sa brutalité. C’était facile de choisir son camp. Ce qui se passe entre Gaza et Israël est un scénario de bas étage, une mécanique d’extermination froide et cynique, une entreprise de déshumanisation des Palestiniens, traités d’animaux par certains dirigeants. Leur destin est si affligeant, et depuis si longtemps, qu’on prend conscience avec stupeur que depuis 1948 on ne progresse que vers le pire. C’est d’ailleurs ce que révèle le retour, de part et d’autre, des deux grands mots-clés, la Shoah et la Nakba, fondement historique d’un traumatisme tragique.

Si le Hamas doit être considéré comme terroriste, alors Benyamin Netanyahou et son gouvernement raciste, suprémaciste et intégriste religieux doit l’être aussi. Au martyre de Gaza, en effet, s’ajoute le calvaire de la Cisjordanie occupée et l’angoisse des Arabes israéliens. La terreur court le long des murs ou dévale les collines avec les colons qui incendient les villages, tuent ou font fuir les habitants pour s’emparer de leur terre – depuis le 7 octobre, plus d’une centaine de Palestiniens ont été tués en Cisjordanie. La colonisation est en marche avec la bénédiction du pouvoir actuel et de l’armée. Benyamin Netanyahou et ses ministres ne cachent pas leur détermination à tout faire pour n’avoir jamais à créer un Etat palestinien. L’un d’eux déclare ouvertement qu’un nettoyage ethnique serait la bonne manière d’achever le travail commencé avec la Nakba…

Tout le monde s’interroge sur l’inexplicable absence d’alerte des services de renseignement sur l’attaque du Hamas. Et si le mystère n’était qu’un coup fourré de Netanyahou pour réaliser l’élimination définitive du Hamas? Et si cette guerre servait ses fantasmes: être celui qui a fait d’Israël, pour de bon, l’«Etat-nation du peuple juif». Encore mieux que la politique d’apartheid déjà en cours… Que le Hamas soit finalement détruit ou non, ce qui est certain en tout cas, c’est que les jeunes de Gaza ressentent déjà la rage qui fera d’eux des combattants.

Pendant ce temps, dans les chancelleries occidentales et en Suisse, on en reste à répéter comme un mantra (ou une oraison funèbre) qu’on est pour la solution à deux Etats. Mais personne ne semble se soucier de la marche à suivre. Oui, la Maison Palestine est toujours debout, avec son drapeau, mais elle est délabrée et la bannière est criblée de trous.

Dans tous les débats qui ont eu lieu ces vingt à trente dernières années au Parlement fédéral, notre gouvernement n’a jamais cessé de banaliser le conflit Israël-Palestine, renvoyant les adversaires dos à dos et les exhortant à se mettre autour d’une table pour signer un accord de paix. Aujourd’hui on dirait que la Suisse est lasse. Une lassitude un peu visqueuse et lâche, car il faut surtout préserver la collaboration avec Israël, notamment dans le domaine de l’armement.

C’était quoi Israël juste avant l’attaque du Hamas? Un premier ministre corrompu qui joue au chat et à la souris avec la justice et des foules dans la rue chaque week-end pour sauvegarder la démocratie… Si tous les amis d’Israël se félicitent de ce que le peuple soit aujourd’hui si uni, il semble tout de même qu’on entend s’élever quelques voix, quelques protestations fragiles, quelques coups de gueule bienfaisants. Il y a tant de belles personnes en Israël, tant de personnalités charismatiques qu’on s’autorise un peu d’espoir.

Anne-Catherine Menétrey-Savary, ancienne conseillère nationale.

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lundi 8 janvier 2018

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