Bétonnage au nom de Dieu
Une bonne sœur qui plaque au sol un activiste. Après quatre ans de lutte, une seule vidéo aura suffi pour faire connaître le chantier de Saint-Pierre-de-Colombier dans toute la France. Dans ce village ardéchois, une congrégation religieuse souhaite construire plusieurs édifices, dont une méga-église. Occupations de chantiers, pétition, recours juridiques… Voilà déjà quatre ans que des écologistes luttent contre ce projet destructeur de terres. La Famille missionnaire de Notre-Dame continue de défendre bec et ongles ce projet écocide.
Le rendez-vous est fixé devant l’église communale, près des trois grands bâtiments de la communauté religieuse. A 11h15 tapantes, le frère Clément Marie s’avance d’un pas assuré, arborant un sourire chaleureux. Dans une salle de réunion aménagée entre les murs de la maison en pierre jouxtant l’église, l’homme de 42 ans aux cheveux grisonnants répond aux questions sans sourciller. Aux murs, les représentations de Jésus et Marie l’observent évoquer la future église. Un projet imaginé en leur nom par le fondateur de la congrégation. Pourtant, en 2020, alors que le permis de construire avait déjà été validé par l’Etat, l’évêque du diocèse a publié un décret pour s’opposer au projet d’église, qu’il jugeait démesuré. «L’objectif, c’est d’avoir un lieu de culte à nous, mais c’est aussi pour des questions de place et de sécurité», explique le frère Clément Marie. Pas question toutefois d’aller à l’encontre de l’autorité diocésaine. Pour l’heure, le chantier concerne donc le bâtiment d’accueil (plusieurs dizaines de chambres et un réfectoire) qui, lui, a été autorisé par l’évêque.
«Seulement» 1,5 hectare artificialisé
«L’environnement, c’est quelque chose qui a compté dès le début, affirme le religieux. Nous avons besoin de quelque chose de grand et nous avons fait en sorte que la surface au sol soit la moins impactante possible.» Sur les 8 hectares de terrain, «seulement» 1,5 hectare devrait être bétonné (dont 7148 m² pour une église de 50 mètres de hauteur en tenant compte des flèches). Cette parcelle fait partie des rares terrains plats de ce bourg construit au cœur d’une étroite vallée. «C’est évident qu’il y aura des impacts, mais ça ne veut pas dire destruction d’espèces protégées», affirme Clément Marie. Ce n’est pas ce qu’ont constaté les écologistes, qui ont porté plainte, mi-octobre, pour la destruction du réséda de Jacquin, une petite fleur parfumée. Un risque dont ne parle pas l’étude environnementale validée par l’administration et dont les incohérences sont soulignées par les opposants au projet.
«C’est évident qu’il y aura des impacts, mais ça ne veut pas dire destruction d’espèces protégées» Frère Clément Marie
«Des milliers de personnes viennent chaque année à la cascade du Ray Pic à 12 kilomètres d’ici et, sur ce site, tout a été prévu pour accueillir les touristes en sécurité, en faisant les choses au mieux pour que ce site reste naturel, ajoute le religieux. Il n’y a pas de raison que ce qu’on est arrivé à faire au Ray Pic, on ne puisse pas le faire à Saint-Pierre-de-Colombier!»
«Les Hommes ont besoin de louer le Seigneur»
S’entêter à construire un complexe religieux en artificialisant des terres, n’est-ce pas aller à l’encontre du récent appel du pape François à un réveil écologique? «On ne peut pas réduire cette encyclique à la dégradation des espaces et de la nature. Le propos est beaucoup plus vaste», répond le frère Clément, dont la voix trahit une certaine irritation. Une autre religieuse, quant à elle, rappelle que «la Création, ce n’est pas que le réséda de Jacquin et le sonneur à ventre jaune [des espèces protégées]. La Création, c’est aussi les Hommes, qui ont besoin de louer le Seigneur.» Un large sourire qui ne quitte jamais son visage, une voix aigüe, enjouée… Lundi 16 octobre, la sœur Gaëtane était sur le chantier pour défendre le projet face aux activistes qui cherchaient à arrêter la pelleteuse. À l’évocation de la vidéo du plaquage, les deux religieux n’expriment aucun regret. «Mais on ne se réjouit pas spécialement de l’emballement médiatique, même si, pour une fois, ce n’est pas trop en notre défaveur», dit sœur Gaëtane, évoquant l’aspect humoristique en lien avec la Coupe du monde de rugby. De son côté, frère Clément Marie répète que «la violence est du côté des opposants».
Que répondent les religieux à l’accusation de «dérives sectaires» faite par la Miviludes [mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires], qui interrogeait les pratiques de la Famille missionnaire de Notre-Dame en 2021? Sans surprise, la congrégation nie en bloc, remettant en cause le sérieux du rapport. Frère Clément Marie ajoute, paraphrasant Jésus: «Venez et voyez.» REPORTERRE