«Votons en connaissance de cause»
J’invite celles (le féminin inclut le masculin, pour changer) qui songent à voter UDC au deuxième tour des élections fédérales à réfléchir sur la nature de ce parti. Qu’est-ce qu’il promet? Une baguette magique, selon le tout-ménage «Edition spéciale», publié au mois de septembre par le parti. Halte à l’immigration = fin des crises, et la belle Suisse retrouvera son âge d’or mythique grütlien. Chiffres et citations à l’appui.
Or, si l’on soupçonne que ces crises différentes ne peuvent avoir une seule et même cause et encore moins une solution unique au final, il vaut la peine de vérifier ces affirmations. Un exemple suffit pour miner la crédibilité de cette publication: la violence et la criminalité seraient «importées» par «les immigrés», qui sont «surreprésentés dans les statistiques de la criminalité».
En appui à sa thèse, l’UDC mentionne une étude de l’université de Zurich qui montre une augmentation des agressions sexuelles sur les filles dans les écoles secondaires, dans les termes suivants (attention à la ponctuation!): «Selon le responsable de l’étude, cela est dû au ‘‘milieu à faible niveau d’éducation et à forte composante migratoire’’. Il s’agit d’un ‘‘problème de migration’’.»
L’UDC rédige ses propos de façon à laisser sous-entendre: 1) que l’étude concerne la migration et la violence; 2) que cette violence criminelle est d’envergure nationale; 3) que l’étude démontre que la cause du phénomène est la migration; 4) qu’un expert croit que c’est un problème de migration.
J’ai retrouvé l’étude en question et une interview du responsable, que j’ai aussi contacté par e-mail. Voici les faits: 1) L’étude concerne la violence entre les jeunes, pas la migration1>Ribeaud, D.; Loher, M.T. (2022). «Entwicklung von Gewalterfahrungen Jugendlicher im Kanton Zürich 1999-2021». Zürich: Jacobs Center for Productive Youth Development (en allemand). (Evolution de l’expérience de la violence chez les jeunes dans le canton de Zurich); 2) Selon le responsable de l’étude, l’enquête se limitait aux écoles zurichoises, et il faut être prudente: les résultats ne peuvent pas être extrapolés à l’ensemble du pays, car des conditions spéciales existent à Zurich qui fausseraient les statistiques pour la Suisse; 3) Parmi les facteurs déterminants de ces comportements, le fait d’être issu d’une famille à faible niveau d’éducation pèse plus lourd que le fait d’être issu de l’immigration2>Ibid.; 4) L’expert n’a jamais décrit le phénomène comme un «problème de migration»3>Communication personnelle: le bout de phrase contenant cette affirmation n’est donc pas une continuation de la citation précédente, malgré les guillemets qui l’entourent.
Je n’ai pas l’expertise pour vérifier tout le contenu de cette publication mais je suis étonné que d’autres partis politiques ne fassent pas l’effort. Car le but de cette campagne de désinformation, de la part d’un parti qui semble tout sauf représentatif des réalités de la majorité de la population (Céline Amaudruz, par exemple, serait une des politiciennes les plus riches de Suisse), était de jeter de la poudre aux yeux afin de rafler un maximum de sièges au Parlement – pari déjà gagné pour le Conseil national. Des sièges supplémentaires au Conseil des Etats l’aideraient à continuer de protéger les intérêts, non pas du peuple, mais du capital déchaîné, des élites réactionnaires et des lobbys puissants – soit les vrais responsables des crises.
Votons pour ce second tour en connaissance de cause.
Notes
Nigel Lindup est établi à Versoix, dans le canton de Genève.