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Guerre et terrorisme en Palestine

Jean-Noël Du Pasquier donne son point de vue sur la couverture politico-médiatique des hostilités entre le Hamas et Israël. Il relève dans la narration produite par les médias occidentaux un «glissement du politique au moral loin d’être innocent», qui nuit à la compréhension des enjeux et des causes à l’origine du conflit israélo-palestinien.
Israël-Palestine 

Dans le Petit Robert, on trouve deux définitions du terrorisme: 1) Hist. Mot employé dans la période qui suit la chute de Robespierre pour désigner la politique de terreur des années 1793-94; 2) (1922). Cour. Emploi systématique de mesures d’exception, de la violence pour atteindre un but politique. Ensemble des actes de violence qu’une organisation politique exécute pour impressionner la population et créer un climat d’insécurité.

Le conflit israélo-palestinien dure depuis 1948, soit depuis 75 ans. C’est un conflit politique. Une population étrangère vient s’installer dans un territoire habité par une population autochtone. Avec l’appui déterminant des puissances occidentales, elle se proclame Etat d’Israël. Pour ce faire, elle mène dès l’abord une politique de terreur à l’égard des Palestiniens, visant à les faire abandonner leurs villages. Comme le dit bien le Petit Robert, c’est une mesure politique visant à l’atteinte d’un objectif.

Par la suite, le conflit entre Israéliens et Palestiniens s’est installé dans la durée. Grâce à l’appui de leurs alliés occidentaux, les gouvernements successifs de l’Etat d’Israël ont exercé une domination politique et militaire écrasante. Israël est devenu une puissance économique, financière et militaire de premier plan. Ces développements ont conduit à une politique d’asservissement toujours plus impitoyable des populations palestiniennes, à l’occupation de leurs territoires, à la négation de leurs droits.

Revenons maintenant à l’actualité et à l’agression par le Hamas des localités du territoire israélien contiguës à la bande de Gaza, commettant crimes et enlèvements. Le fait que le Hamas a semé la terreur pendant 3 jours dans une petite partie d’Israël répond à la terreur qu’Israël fait régner depuis 75 ans sur la totalité du territoire palestinien. Rien ne peut justifier ni légitimer les exactions commises contre les civils israéliens par les milices palestiniennes lors de leur opération militaire de début octobre.

Mais rien ne peut justifier ni légitimer les exactions commises par l’Etat d’Israël à l’encontre des Palestiniens depuis 75 ans. La violence appelle la violence. Aussi longtemps que l’Etat d’Israël occupera les territoires palestiniens et bafouera les droits de leurs habitants, aussi longtemps que les nations occidentales persisteront à soutenir ce régime d’apartheid, cette portion du monde restera une poudrière.

Il faut ici s’interroger sur le glissement sémantique que la doxa occidentale a fait subir au qualificatif «terroriste»

Mais voilà que nous vivons en Suisse, pays qui affirme sans désemparer son soutien à l’Etat d’Israël, à l’instar des autres puissances occidentales. Et voilà que nous sommes inondés par la narration que nos médias dominants font de ce conflit. On y trouve en première place l’indignation face à l’agression et aux crimes commis par le Hamas, désigné comme organisation terroriste. Quant à la riposte d’Israël, nulle critique ou condamnation car, bien sûr, cet Etat est légitimé à défendre son intégrité territoriale comme l’intégrité de ses citoyens. C’est une guerre contre le terrorisme.

Il faut ici s’interroger sur le glissement sémantique que la doxa occidentale a fait subir au qualificatif «terroriste». Il n’est plus utilisé pour qualifier une politique, auquel cas il faudrait désigner comme terroristes les agressions occidentales contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, et j’en passe. Il faudrait nommer terroriste la politique de l’Etat d’Israël. Le terme qualifie désormais un comportement de ceux qui pratiquent le mal. Il a pris le sens d’un anathème moral.

Nous nous trouvons donc dans la fiction d’un prétendu combat entre le bien et la mal. Bien entendu, les actions des puissances colonisatrices occidentales ont toujours prétendu apporter le bien aux autochtones colonisés. Telle est la narration qu’en fait aujourd’hui le gouvernement israélien, reprise en chœur par les médias occidentaux.

Le glissement du politique au moral est loin d’être innocent

Le glissement du politique au moral est loin d’être innocent. Dès qu’on lit les événements du monde à travers un prisme moral, on s’interdit de comprendre les rapports sociaux de domination qui les façonnent. On sort de l’analyse politique pour entrer dans le monde enchanté du combat pour le bien. Avec une fâcheuse dérive toujours à la porte: le bien c’est Nous, le mal c’est Les Autres. Les discours de l’extrême-droite européenne (et suisse!) sur l’immigration en donnent un bon exemple. On notera que cette narration morale de l’histoire est le fait des classes sociales dominantes pour justifier leur domination.

Un mot encore sur le «compassionnisme». A chaque événement tragique de l’histoire actuelle, guerre, attentat, accident naturel, se déverse dans les sociétés capitalistes des pays riches une vague de compassion à l’égard des populations touchées par ces catastrophes. Campagnes de dons et d’aide humanitaire se multiplient alors, comme c’est le cas aujourd’hui dans le contexte de la guerre israélo-palestinienne. Une fois la situation d’urgence passée, l’objet de la compassion disparaît des gros titres de l’actualité et nous l’oublions d’autant plus facilement qu’en ayant «donné», nous avons fait notre devoir.

Est-ce cela la vraie solidarité? On voit que la compassion relève, elle aussi, de l’ordre moral: faire le bien à des déshérités. On s’empresse de coller un pansement sur une jambe de bois et on passe à autre chose. Or toute catastrophe, même naturelle, contient des composantes politiques dont il est impératif de faire l’analyse, politique elle aussi, à supposer que l’on veuille changer les racines de la situation considérée.
Telle est notre tâche devant le conflit israélo-palestinien: renoncer à toute posture morale et en faire l’analyse politique. Dire qui est dominant et qui est dominé, en déterminer les causes et prendre position. Et, parce que nous vivons en Suisse, convaincre nos gouvernants de cesser leur soutien aveugle à la politique de colonisation et d’apartheid menée par le gouvernement d’Israël.

* Carouge (GE)

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