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Droit à une alimentation adéquate: quelle mise en œuvre?

L’accès à une alimentation saine et nourrissante en suffisance pour toutes et tous nécessite de «passer du soutien à la production à une politique agroalimentaire d’ensemble», selon René Longet.
Genève

Les images choc du printemps 2020 sont encore dans toutes les mémoires: à Genève, des centaines de personnes font la queue pour recevoir des cornets alimentaires. Ce rappel brutal à une réalité longtemps occultée incita la députée socialiste Helena de Freitas à proposer d’inscrire dans la Constitution cantonale le droit à une alimentation adéquate pour toutes et tous. Soutenu par plusieurs groupes politiques (le Centre, Ensemble à gauche et les Verts), son projet fut adopté par le Grand Conseil en septembre 2022, puis par le peuple à une majorité des deux tiers le 18 juin dernier.

Peu après, le Département de la cohésion sociale constituait un comité de pilotage pour concrétiser ce droit. Le rapport de la commission parlementaire rédigé par le député Diego Estevan balise ce travail en ces termes: «Cette disposition représente le fondement d’une future politique publique de l’alimentation, à l’instar de ce qui existe pour la production agricole. Une politique publique permet une approche globale et transversale, de regrouper l’ensemble des protagonistes du domaine et de s’écarter de la situation actuelle, dans laquelle les initiatives – souvent associatives – s’enchaînent sans réelle coordination et à faible portée. L’alimentation telle que préconisée par le projet de loi englobe tous les enjeux qui y sont liés. L’Etat est invité à favoriser une production locale, saine, produite dans des conditions socialement et écologiquement justes. Les outils de formation seraient mobilisés pour du travail de prévention.»

La loi cantonale genevoise de 2004 sur la promotion de l’agriculture a en effet permis, par le label d’Etat GRTA, la Maison du terroir ou encore l’AOP pour le cardon genevois, de donner une importante visibilité à la production de proximité et de renouer le lien entre ville et campagne. L’accès à une alimentation adéquate passe par un relèvement des bas revenus et la compensation de l’inflation. Mais aussi par des actions associant qualité nutritionnelle, convivialité et diversité gustative, à l’image des «Ateliers cuisine et santé, apprendre à cuisiner équilibré avec un petit budget» de Caritas Genève.

L’adjectif «adéquat» renvoie à la dignité de chaque personne ainsi qu’à des critères comme, concernant la production, le maintien des fonctionnalités des systèmes naturels à travers des approches agroécologiques; l’obtention d’un juste prix pour chaque maillon de la chaîne de valeur, à l’exemple du lait équitable; la sauvegarde de la diversité génétique, base de la sécurité alimentaire, ou encore la dimension culturelle. Pour assurer que «chacun (…) ait accès (…) à une alimentation saine, nutritive et suffisante» (Agenda 2030 de l’ONU, § 2.1.), des subventions ciblées, sur le modèle de ce qui existe pour le logement ou l’assurance-maladie, s’imposeront. L’alimentation durable fait le lien entre santé humaine et santé de la Terre – qui vont souvent de pair, comme la politique climatique l’illustre à travers les récentes propositions de la Confédération pour rééquilibrer la part animale et végétale de nos sources de protéines.

Les excès de sucre dans l’alimentation industrielle ont suscité en mars 2020 une initiative du canton auprès des Chambres fédérales, et en novembre 2019, un vote populaire avait inscrit dans la Constitution genevoise que «l’Etat prend des mesures afin de réduire les risques liés à l’utilisation de produits phytosanitaires. Il encourage le développement de méthodes alternatives permettant d’en limiter l’usage, notamment par un soutien économique ou technique». Une des clés sera l’engagement de la restauration et de la distribution, sachant que 90% des calories ingérées par la population genevoise sont actuellement produites ailleurs et dans des conditions parfois problématiques. C’est à la construction d’un consensus agroalimentaire qu’il convient désormais de s’atteler, en soulignant que nous sommes faits de ce que nous mangeons et que les inégalités sociales passent aussi par là.

René Longet est expert en durabilité.

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