Héréditarisme: le préjugé qui pourrit la recherche!
«Transmettre son patrimoine génétique est l’un des objectifs naturels de tout être vivant. Une étude cofinancée par le Fonds national suisse a examiné comment prédire le succès génétique d’individus déterminés. A l’aide des arbres généalogiques de deux villages glaronnais…»
… peut-on lire en page 10 de la – par ailleurs excellente – revue Horizons du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Ceci au début d’une brève commentant un article pointu de génétique démographique. L’autrice de cet acte de foi radical dans le pouvoir des gènes est une communicante… architecte! Ce qui pourrait excuser sa méconnaissance de la biologie si elle s’exprimait dans une revue d’architectes d’un village d’Appenzell… C’est plus problématique quand il s’agit de la communication de haut niveau de la recherche scientifique nationale.
D’abord, la plupart des êtres vivants n’ont pas d’«objectif», et encore moins d’objectifs communs. A part parfois les humain·es – ça se discute dans les conditions actuelles! –, aucune autre espèce ne se projette dans l’avenir sur plusieurs générations. Pour cela, il faut des représentations du monde et des modélisations des histoires possibles que nous sommes les seul·es vivant·es à pouvoir maîtriser, mais dont le bon usage tarde à venir du fait de notre bêtise émotionnelle.
Bien sûr, la sélection naturelle fait que les gènes des individus féconds sont les seuls susceptibles d’être transmis et seront d’autant plus fréquents à l’avenir que leurs porteurs auront, régulièrement, plus de descendants. Dans ce jeu de la sélection par la démographie, les gènes des parents de familles nombreuses ont plus de chances de persister à long terme. Mais ce sera aléatoire puisque chacun peut être perdu à chaque transmission. De rares gènes, plutôt hypothétiques, pourraient contribuer à la fécondité de certains individus, mais on en connaît bien plus qui la diminuent.
De toutes façons, les deux variantes d’un gène possédées par un individu sont transmises indépendamment à ses enfants et la propriété de fécondité différentielle concerne chacune de ces variantes, et non le patrimoine génétique unique de leur porteur qui est «explosé» par chaque procréation. Parler de «succès génétique» des individus» est donc idiot!
Ce que le nombre de descendants de chaque individu dans les générations successives représente, c’est le nombre de voies de passage possibles de ses gènes dans le réseau des généalogies, et non le succès des variantes des gènes qui y passent, lequel est affaire de dérive génétique et de sélection, surtout négative, de ces variantes.
Le papier référencé est très critiquable, car les villages étudiés connaissent de fortes immigrations et émigrations et ses auteurs négligent les émigrants issus des fondateurs, ce qui fait qu’une part très importante des descendants des fondateurs n’est pas prise en compte. Ceux dont les enfants sont partis assurer leur descendance ailleurs, peut-être en grand nombre, seraient-ils moins importants que ceux qui sont restés sur place?
Par ailleurs, les références citées sur le sujet commencent en 2010, alors que ce genre d’études de descendance des fondateurs, en moins technique mais bien plus pertinent, avait été développé sur de nombreuses populations d’«isolats» humains dans les années 1960-1990 par des auteurs tels que Barrai, Derek Roberts, Cavalli-Sforza, Jacquard, Moeschler et bien d’autres. Une consolation: si la population étudiée est helvétique, les principaux auteurs de l’article sont britanniques et perpétuent, dans les bulletins de la «Royal» Society, le préjugé héréditariste et faux des anciens régimes européens, selon lequel l’hérédité assure la reproduction et la transmission des «types».
Alors que la génétique transmet, ou pas, des gènes de manière strictement aléatoire à chaque génération. Un réseau de généalogies est comme un réseau de trains: sa connaissance ne dit pas ce qu’il transporte, sinon des probabilités de similitudes aux points d’arrivée. En termes de «succès reproductif», transmettre beaucoup ne signifie rien si l’on transmet n’importe quoi!
* Chroniqueur énervant.