Le long chemin de la lutte contre le tabagisme
Cette année, l’Organisation mondiale de la santé fête les 20 ans de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT). Ce premier traité international de santé – et jusqu’ici le seul – a constitué une avancée majeure dans la lutte contre le tabagisme, en particulier dans les pays où la législation sur le sujet était rudimentaire. Les Etats l’ayant ratifié s’engagent à développer la lutte contre le tabagisme en augmentant les taxes sur les produits du tabac, en en interdisant la publicité, la promotion et le mécénat, en combattant le commerce illicite ou encore en adoptant d’autres mesures éprouvées de protection des populations. A ce jour, 182 pays ont ratifié le traité [dernier en date, le Malawi, ce 18 août], mais pas la Suisse. J’y reviendrai.
L’OMS estime ainsi que cette Convention a permis de diminuer la mortalité due au tabagisme: en 2003, les projections pour l’horizon 2023 étaient de 10 millions de décès annuels, alors que l’OMS parle aujourd’hui de 8 millions, donc 20% en moins. De plus, le taux mondial de tabagisme a chuté de plus de 5 points de pourcentage, passant de 22,8% en 2007 à 17% en 2021, toujours selon l’OMS. La CCLAT a aussi mis en avant le risque de la fumée passive – bien documenté depuis plusieurs années par les milieux de prévention – et actuellement il n’y a plus beaucoup de monde pour décrier l’interdiction de fumer dans les transports publics (décrétée en Suisse en 2005) ou dans les lieux de travail et les bistrots (en 2010).
Il n’en reste pas moins qu’en Suisse, le tabac provoque encore chaque année 9500 décès prématurés. Autrement dit 26 décès par jour, soit plus que les décès dus au Covid en 2020, selon les données de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Les quelque 2 millions de fumeurs et fumeuses suisses (une part supérieure à celles des autres pays à revenu élevé) font du tabagisme l’un des principaux problèmes de santé publique. Les coûts supportés par la collectivité se chiffrent par milliards. La prévention et l’accompagnement des patient·es qui veulent arrêter de fumer représentent donc, outre les bénéfices individuels escomptés, un intérêt indéniable pour l’ensemble de la société, notamment à un moment où les coûts des soins constituent un véritable champ de tension.
Fin mai, le Conseil fédéral a, à la suite de l’acceptation en février 2022 de l’initiative populaire «Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac», proposé une modification législative avec l’introduction de restrictions supplémentaires à la publicité, promotion et parrainage des produits du tabac et cigarettes électroniques dans la nouvelle loi sur les produits du tabac (LPTab), entrée en vigueur cette année. Il s’agit d’interdire toute publicité tabagique qui peut atteindre les mineurs.
Par ailleurs, le gouvernement veut introduire un complément requis par la CCLAT, à savoir l’obligation pour l’industrie du tabac et de la cigarette électronique de déclarer leurs dépenses publicitaires. Ce serait enfin la porte ouverte à la ratification par la Suisse de la CCLAT, elle qui, avec Monaco et le Lichtenstein, font partie des derniers pays européens à ne pas l’avoir fait.
Mais rien n’est moins sûr que son approbation par les Chambres fédérales! La commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats (CSSS-E) s’est réunie pendant l’été et, à la majorité, a affaibli le texte du Conseil fédéral en proposant que «la publicité pour le tabac à l’intérieur des journaux ou des publications qui s’adressent principalement à des adultes reste autorisée, comme le parrainage de manifestations, pour autant que la publicité sur place ne puisse pas être vue par les mineurs. L’obligation pour l’industrie du tabac de déclarer ses dépenses publicitaires doit par ailleurs être supprimée.»
C’est un mauvais signe qui montre que le lobby du tabac reste puissant chez nous. Il sera intéressant de suivre les débats en plénum du Conseil des Etats ce 21 septembre, à un mois des prochaines élections fédérales. On sait – et l’OMS le rappelle régulièrement – que les interdictions partielles de la publicité n’ont que très peu d’effet sur la diminution de la consommation des produits du tabac, contrairement à une interdiction totale.
«Il y a un conflit de fond insurmontable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique. L’industrie du tabac assure la production et la promotion d’un produit dont il est avéré scientifiquement qu’il est dépendogène, qu’il provoque maladies et décès et qu’il est à l’origine de divers maux sociaux, notamment la paupérisation. L’ampleur de la tragédie humaine et économique dont le tabac est responsable est choquante.»
C’est l’OMS qui le dit… Est-ce que nos élu·es l’entendront?
Bernard Borel est pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.