Le réchauffement et moi…
Il y a cinquante ans, je fréquentais des climatologues qui ne doutaient ni de la réalité du réchauffement, ni de son accélération, mais ne savaient pas évaluer la part due à l’activité humaine. Quand, plus tard, le GIEC a lancé ses premières mises en garde, j’ai été scandalisé par la technique qui consistait à réunir des centaines de scientifiques pour affirmer la vérité. La science progresse souvent quand des individus isolés démentent des «paradigmes», vérités provisoires non démontrées auxquelles tout le monde croit. La science est affaire de preuves, pas de croyances. Si Galilée avait dû organiser un référendum sur la rotation de la Terre, il l’aurait perdu! Mais profitant, comme souvent, de la réalité rare du génie isolé et incompris, des pseudo-génies bruyants, anti-paradigme GIEC et climatoseptiques, se mirent à pulluler.
Parmi ces agités, Claude Allègre, ministre de la Recherche, puis de l’Education nationale du Premier ministre français Lionel Jospin (dont il était le beau-frère et partenaire de tennis). Géophysicien, mais pas climatologue, Allègre usa de sa réputation de chercheur et de son autorité de ministre pour régler des comptes avec les institutions qui n’avaient pas voulu de lui et ses concurrents, chercheurs du GIEC ou autres. Ceci à une époque où les mesures scientifiques ne laissaient déjà plus aucun doute sur le rôle des industries et consommations humaines dans les perturbations du climat. Pour qui ne connaît pas Allègre, il faut rappeler sa fascination pour les systèmes éducatifs et de recherche étasuniens, ainsi que pour les intérêts miniers et industriels privés. Ce qui s’ajoute à son rôle majeur dans le démantèlement de l’Education nationale et des universités de son pays…
Les attaques d’Allègre me firent comprendre la cause de la communication paradoxale du GIEC face aux lobbies comme les siens. Comme celle de collègues biologistes étasuniens qui luttent contre le créationnisme religieux avec des arguments aussi nuls que ceux des prédicateurs qu’ils affrontent. Mais, en général, avec moins de talent et trop de naïve sincérité! Un autre communicateur scientifique, qui énervait par ses répétitions, ses approximations et ses oublis dans les médias, avouait en privé: «En communication scientifique, soit on est juste et incompris, soit on est faux et compris, j’ai choisi la seconde solution». Propos scandaleux qui aurait pu être la devise de beaucoup de ses collègues, anglophones en particulier.
Malgré le rôle du doute comme base des sciences, face à la fonte des glaciers, aux crises de l’eau, à la montée des mers, aux guerres pour les ressources et aux incendies monstrueux, la cause des malheurs qui atteignent nos contemporains et menacent nos descendants n’est plus discutable.
Mais, les négationnistes climatiques, déclarés ou implicites, détiennent tous les pouvoirs, en particulier militaires, économiques et médiatiques dans nos sociétés, et vivent trop bien pour remettre quoi que ce soit en question. En majorité vieillards mâles, souvent séniles ou psychorigides, indifférents à un avenir qu’ils ne vivront pas, il n’y a rien à attendre d’eux, que la poursuite de la course folle du lobby capitaliste: le gouffre est face à nous, faisons un pas en avant!
Je me souviens d’une vraie-fausse alerte à la pollution quand une explosion dans une usine proche avait lâché sur Genève un nuage gazeux qu’une radio mal informée et irresponsable avait qualifié de cyanure. Tandis que les accidents en ville se multipliaient dans la panique de qui voulait fuir, nous étions partis déjeuner presque tranquilles à six ou sept. Quelqu’un avait posé la question: il nous reste une heure à vivre, que fait-on? Il y avait eu trois types de réponses: elle et lui s’étaient regardés en commentant: «On est bien d’accord!». Plusieurs voulaient simplement continuer ce qu’ils faisaient, quoi que ce soit. Et un dernier avait lancé: «la révolution!». Le «temps et les circonstances», comme disait Lamarck, choisiront pour nous…
Chroniqueur énervant.