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Des milliers de Margaridas déferlent sur Brasilia

Quarante ans après l’assassinat de Margarida Alves, figure majeure du syndicalisme paysan, la septième Marche des Margaridas a lieu ces 15 et 16 août à Brasília. Elle rassemble cent mille travailleuses rurales du pays entier, «en marche pour la reconstruction du Brésil et le ‘bien-vivre’».
Brésil

Brasília. A l’aube de ce mercredi 16 août, certaines ont passé plusieurs jours en bus et laissé maisons, champs et enfants pour participer à la plus grande mobilisation de femmes d’Amérique latine. «Femmes des campagnes, des forêts et des eaux», ces travailleuses rurales viennent parfois des territoires les plus lointains du pays. Elles marcheront aujourd’hui sur la capitale, appuyées par leurs allié·es des villes. Et remettront au gouvernement un cahier de revendications féministes et écologistes ambitieux. Depuis 2000, la Marche des Margaridas (marguerites, en français) a lieu tous les quatre ans la semaine suivant le 12 août, date de l’assassinat de Margarida Alves. Une manière de rendre hommage à la dirigeante syndicale et d’affirmer la continuité de ses luttes.

Née dans l’Etat de Paraíba, dans le Nordeste brésilien, Margarida Maria Alves a été l’une des premières femmes à occuper un poste de direction syndicale dans le pays. Issue d’une famille d’agriculteurs expulsée de son lopin, Margarida dirigera le Syndicat des travailleurs ruraux de sa ville d’Alagoa Grande entre 1971 et 1983, en pleine dictature militaire. Elle se bat pour l’obtention d’un 13e salaire, des congés payés, pour la journée de travail de huit heures et l’accès à l’éducation. Sa lutte heurte de front les propriétaires de la région qui commanditeront son assassinat, resté impuni à ce jour.

Alternatives en construction. Quarante ans plus tard, la marche qui porte son nom rend visibles les luttes des travailleuses rurales et de leurs organisations, notamment la Confédération nationale des travailleur·euses ruraux·ales et agriculteur·rices familiaux·ales (CONTAG). Pratiquant une agriculture familiale et agroécologique, elles construisent au quotidien des modèles alternatifs à celui de l’agrobusiness. Pour elles, la Marche représente ainsi «l’aboutissement d’un long processus de construction et de lutte pour la reconnaissance de leurs droits», explique depuis Brasília Carolina Fontes dos Santos, chercheuse à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID).

Quatre années de gouvernement Bolsonaro ont eu des effets dévastateurs sur la société brésilienne, qui affronte une terrible recrudescence de l’insécurité alimentaire1>Environ 70 millions de personnes sont
en état d’insécurité alimentaire au Brésil.
. Cette année, les Margaridas ont donc choisi de marcher «pour la reconstruction du Brésil et le bien-vivre».

En tant que femmes et travailleuses, elles cumulent les tâches domestiques et reproductives et font face à divers types de violences, notamment patriarcales et racistes2>En 2022, une femme était tuée toutes les six heures au Brésil; on dénombrait au moins un viol toutes
les sept minutes.
. Elles revendiquent ainsi la fin de toutes les formes de violences, mais aussi le droit à disposer de son corps et de sa sexualité. Elles exigent aussi, entre autres, le renforcement de la démocratie participative et populaire, le droit à la souveraineté alimentaire et énergétique.

Changement en action. Depuis hier, Brasilia vit au rythme des ateliers, cercles de discussion et assemblées animées par les Margaridas. Une exposition de leurs productions est aussi organisée. Le programme, axé sur l’échange de connaissances et de semences, aborde des thèmes liés à l’alimentation et la souveraineté alimentaire, à la protection de l’environnement et à la justice climatique. La Marche culminera aujourd’hui avec une grande manifestation vers l’esplanade des Trois-Pouvoirs, au cœur de la capitale fédérale.

Les Margaridas ont par le passé obtenu de réelles avancées, comme la copropriété des terrains entre hommes et femmes, ainsi que des services d’aide pour les victimes de violences. Sept mois après l’entrée en fonction du gouvernement Lula, la marche s’inscrit désormais dans une nouvelle séquence politique: le président devrait en effet apporter aujourd’hui des réponses aux revendications portées par ces travailleuses rurales. Un geste fort, qui «représente une ouverture au dialogue, à la compréhension et à la négociation», estime Carolina Fontes. Au Congrès et dans un grand nombre d’Etats brésiliens, la droite bolsonariste et le lobby de l’agrobusiness restent pourtant en position de force. Mais pour les Margaridas, la mobilisation construit déjà de nouveaux horizons solidaires, portés par la conviction que, comme le disait Margarida Alves, «mieux vaut mourir en luttant que mourir de faim».

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