On nous écrit

Le soin ou le sacré?

Franceline James réagit à un article de notre série d’été « Etats d’âmes».
Spiritualité

J’aimerais réagir à l’article «Aux petits soins de l’âme» paru le 28 juillet, qui me paraît soulever une série de questions dont le ton est donné par son titre.

Tout au long de l’article règne en effet une confusion permanente: s’agit-il d’accompagner la spiritualité ou de la soigner?

Il est décrit comment une vision holistique du soin comprend nécessairement une dimension spirituelle. Mais l’inverse est-il vrai? La spiritualité relève-t-elle de l’aire des soins?

Le Pr P-Y Brandt signale le risque, sans pour autant l’éviter: la confusion avec le domaine de la psychologie est patente. La spiritualité, devenue un soin, tombe dès lors dans le domaine de la médecine et de la psychologie. Avec pour produit ce machin inclassable: le «diagnostic spirituel»! On nage en pleine confusion.

Je pose donc trois questions critiques à cette vision de la spiritualité comme un soin.

La prise de distance des institutions religieuses (relevée par Mario Drouin) a donc juste favorisé la translation d’une institution à une autre: l’institution médicale, grande gagnante de cette évolution. La spiritualité et ce qui s’y rapporte s’en porte-t-elle vraiment mieux? J’en doute.

La préoccupation des soignants pour la dimension spirituelle de la maladie et des soins est certainement un progrès. Mais en rester là est une grave réduction de la question spirituelle. Comment les soignants se sont-ils retrouvés à devoir gérer cette spiritualité à soigner?

Cette vision du soin spirituel est totalement occidentalo-centrée. Mais il y aura de plus en plus de patients hospitalisés qui viennent d’autres mondes que le nôtre, pour lesquels cette représentation est totalement inappropriée. Comment penser ces situations?

Passer d’une institution hégémonique (les Eglises) à une autre (la médecine) n’est en rien un progrès. Mais on ne peut en vouloir aux soignants d’occuper la place ainsi laissée vacante. Car il s’agit, me semble-t-il, d’un retour de la dimension évacuée dans la modernité: celle du sacré.

Nous avions pensé l’instauration d’une société laïque comme la possibilité d’un vivre-ensemble basé uniquement sur des valeurs «horizontales», qui ne concerneraient que l’être humain. On dirait que nous nous sommes trompés. Retrouver la dimension spirituelle comme une dimension des soins le montre bien: l’institution qui a absorbé ce terrain-là, la médecine, augmente encore ainsi son hégémonie – sans pour autant répondre à la question du sacré.

Or c’est bien le noyau du questionnement sous-jacent. Si les soignants se retrouvent chargés de gérer comme un soin la dimension spirituelle des humains confrontés à la mort, c’est bien parce que notre modernité avait pensé pouvoir évacuer la question de la mort et du sacré.

La voilà de retour, sous ces oripeaux bizarres de «diagnostic spirituel» et autres «soutiens adéquats au psychisme des patients». Je n’ai évidemment aucune réponse à une question d’une telle ampleur. Mais on va bien devoir s’en occuper…

Dr Franceline James, Genève

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