Édito

Familles déchirées

Familles déchirées 1
KEYSTONE/Ti-Press/Francesca Agosta
Droits humains

On se souvient des saisonniers, séparés de leur famille. La Suisse réclamait leurs bras pour se construire, mais ne voulait pas qu’ils s’installent. Le regroupement familial leur était interdit. Autre époque, souffrances similaires. Aujourd’hui encore, des familles sont déchirées par l’exil. Et si le droit au regroupement familial existe, il est en réalité très restreint, non seulement par une législation rigide, mais aussi par des obstacles administratifs insensés. C’est ce que montrent les témoignages récoltés par Le Courrier. Même lorsque les familles remplissent toutes les conditions pour le regroupement familial, le parcours pour y arriver est labyrinthique.

Ce sont souvent des femmes, qui se retrouvent seules avec leurs enfants dans des pays en crise, voire en guerre, qui tentent de rejoindre légalement leur conjoint venu en Suisse. Des femmes qui passent des heures dans des files d’attente devant les ambassades, espérant obtenir un rendez-vous. Et des enfants parfois déscolarisés, pour se rendre à la représentation suisse, située dans un pays voisin, ou plus loin encore. Depuis le mois dernier, les Erythréen·nes doivent rejoindre le Kenya, à plus de 2000 kilomètres de leur pays, pour tenter de décrocher un visa pour la Suisse.

Les directives administratives valent davantage que les destins humains. Quel cynisme de demander à une Afghane de parcourir seule son pays en crise afin de réunir une pile de d’attestations, dont un acte d’état civil attesté par le régime des talibans… lui-même non reconnu par la Suisse! C’est faire fi des persécutions dont les femmes sont victimes dans le pays. Quel cynisme d’imposer des démarches administratives qui lui coûteront plus de 10 000 francs, pour être réunie. Un témoin indique dans nos pages que le frein administratif et financier est tel que beaucoup de familles y renoncent et restent déchirées. En premier lieu les plus précaires, celles qui ont moins de ressources et de relais pour se battre.

Le risque existe aussi que ces obstacles administratifs jettent femmes et enfants sur des voies illégales et dangereuses de la migration. Pour la personne qui les attend en Suisse, il est difficile de vivre sereinement en ayant laissé les siens derrière soi au pays. L’unité familiale favorise le retour à une vie normale et, par conséquent, une bonne intégration. Le droit au respect de la vie familiale est garanti par la Constitution et par le droit supérieur. Il est temps de l’appliquer sans discrimination. Alors que des destins humains sont en jeu, une telle politique de sape n’est pas admissible.

 

Opinions Édito Sophie Dupont Droits humains

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mardi 8 août 2023 Sophie Dupont
Dans les ambassades suisses à l’étranger, des obstacles administratifs rendent le regroupement familial très difficile, pour des personnes qui y ont pourtant droit.

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