Le temps d’un shoot
Il est 21h30 quand je rencontre Dany* devant le Quai 9 avec un de ses acolytes chez qui il ira dormir ensuite. C’est Francesca de l’association SGS Solidarité Pâquis qui me l’a présenté car il est d’accord d’être photographié pendant qu’il fume son caillou de crack. Pendant que nous nous dirigeons vers la permanence fermée le soir de la rue du Jura (dite la soucoupe volante…), l’ami de Dany m’explique qu’une galette de crack (0,4 gramme) s’achète 35 francs aux Pâquis et qu’elle peut être partagée en 6 ou 7 parts. Une part, ou taffe, se revend à 10 francs l’unité ce qui donne lieu à tout un petit trafic que se font entre eux les consommateurs pour se payer leur propre consommation. Cela donne naissance à une économie parallèle qui échappe à tout contrôle et qui produit de nombreuses scènes de violence tant la consommation est fréquente et régulière (jusqu’à 10 galettes par jour pour les gros consommateurs).
Dany me montre le caillou de crack que son ami lui a fourni et prépare sa pipe. Les gestes sont rapides et précis et le caillou est fumé en quelques secondes. Dany devient ensuite très volubile et me parle de sa vie avec les drogues. Il en prend tout un assortiment depuis une quinzaine d’années (d’après son récit il doit avoir la trentaine aujourd’hui). Il a parfois réussi à tout arrêter, à part l’alcool et le cannabis, en s’éloignant des grandes villes mais dès qu’il y retournait, les habitudes, les circuits et le carnet d’adresse reprenaient leur place dans sa vie et la consommation recommençait.
Il a vécu quelques temps en van par le passé, puis le moteur est tombé en panne et il l’a abandonné. Depuis, il vit dans la rue et n’a jamais vraiment supporté les petits appartements qu’on lui a parfois proposé. Il ne les aménageait pas du tout et se retrouvait très rapidement à nouveau dans la rue.
Tout en me parlant, il se prépare un shoot avec un cachet de ritaline qu’il écrase soigneusement dans un papier à l’aide d’un briquet avant de le diluer dans de l’eau et se l’injecter. Dany me dit que ça le calme et lui évite des sentiments de paranoïa qu’il a parfois en croisant les regards des gens quand il a pris de la drogue et a l’impression que tout le monde s’en rend compte. Avant de faire son shoot, il ramasse tout les déchets qu’il fourre dans son sac en m’expliquant qu’il déteste l’idée de laisser des saletés derrière lui et d’imaginer qu’un enfant les trouve. Il faut le faire avant me dit-il, parce qu’après on n’est jamais sûr de comment on va réagir…
*Prénom d’emprunt