Inhumanité du quotidien au Texas
La compétition internationale non officielle pour déterminer qui maltraitera le plus brutalement les migrant·es et les demandeur·euses d’asile recense une nouvelle performance des Etats-Unis. Des fonctionnaires du Texas repoussent délibérément des personnes, enfants compris, vers des barbelés et dans des courants fluviaux dangereux, tout en sachant qu’elles seront blessées ou pourraient mourir.
Un courriel d’un policier-infirmier du Département de la sécurité publique du Texas détaille les récents événements survenus à Eagle Pass, sur le Rio Grande, à la frontière avec le Mexique. Rapporté pour la première fois par le Houston Chronicle 1> B. Wermund, «Texas troopers told to push children into Rio Grande, deny water to migrants, records say». Houston Chronicle, 21 juillet 2023, https://tinyurl.com/429f5rd3 la semaine dernière, ce courriel décrit des scènes horribles.
Par des températures dépassant largement les 38 °C, des soldats de la Garde nationale du Texas ont repoussé une fillette de quatre ans, qui s’est ensuite évanouie d’épuisement en raison de la chaleur. Une femme enceinte de 19 ans s’est prise dans des barbelés et a fait une fausse couche. Quelque 120 personnes, dont des enfants en bas âge et des nourrissons, se sont retrouvées bloquées entre les barbelés et la rivière. Un officier de commandement du Ministère de la sécurité publique a demandé aux soldats de ne pas leur venir en aide.
La mise en place des barbelés est au cœur de cette histoire. Le Ministère de la sécurité publique et la Garde nationale du Texas ont installé des barbelés dans les zones où il est le plus facile de traverser la rivière, ce qui pousse les gens à tenter des traversées plus dangereuses. Le courriel du policier souligne que cinq personnes se sont noyées près d’Eagle Pass. L’une d’entre elles était une mère avec deux enfants. Elle et l’un de ses enfants ont été repêchés de la rivière et déclarés morts peu de temps après. Le deuxième enfant n’a jamais été retrouvé.
Les refoulements illégaux et les horreurs qui en découlent à la frontière, apparemment sous le coup d’une enquête des autorités fédérales, sont les derniers exemples d’une série d’abus dans le cadre de l’opération «Lone Star» au Texas 2> www.hrw.org/news/2023/02/09/written-testimony-bob-libal-consultant-us-program-human-rights-watch . Ce programme de l’Etat texan a entraîné des blessures et des décès 3> J. McCullough, «Operation Lone Star», The Texas Tribune, 28 juillet 2022, https://tinyurl.com/bdzywf6x et a constamment violé les droits des migrant·es et des demandeur·euses d’asile, ainsi que ceux des citoyen·nes américain·es. L’inhumanité est devenue si banale qu’elle n’est même pas reconnue pour ce qu’elle est.
Je doute qu’aucun fonctionnaire texan ne rentre chez lui le soir en pensant à la façon dont il a contribué à noyer deux bébés et à tuer d’épuisement une enfant en bas âge en raison de la chaleur. Ce n’est pas leur façon de penser parce qu’il semble qu’ils ne considèrent pas les victimes comme des êtres humains. S’ils considéraient un enfant migrant avant tout comme un enfant, ils ne le pousseraient pas vers des barbelés ou des courants déchaînés. Ils ne feraient certainement pas cela avec leurs propres enfants ou ceux de leurs voisins.
Mais dans le cadre de leur travail, ces fonctionnaires ont perdu tout lien avec le sens moral qu’ils peuvent avoir dans d’autres domaines de leur vie. La rhétorique déshumanisante des responsables politiques a certainement contribué à les mettre dans cette disposition mentale. Les politiques d’Etat qui vont dans le même sens leur fournissent une approbation formelle et un encouragement à passer de ces pensées déshumanisantes à des actions inhumaines. Il en résulte que ce que les agents devraient voir – ce que toute personne normale verrait – comme d’horribles abus contre des enfants devient pour eux un jour de travail comme un autre.
Cette déconnexion de l’individu de son propre sens moral est si souvent au cœur des violations systématiques des droits humains, en particulier celles commises aujourd’hui à l’encontre des personnes migrantes et demandeuses d’asile. Pas seulement au Texas, mais dans le monde entier.
Notes
*Directeur des relations médias en Europe, Human Rights Watch