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Les hiérarchies des EMS loin des réalités quotidiennes

Revenant sur le licenciement d’une aide-soignante à la suite de son témoignage télévisé sur les conditions de travail en EMS (notre édition du 6 juillet, en lien ci-après), Etienne Rouget montre l’importance du lien entre résident·es et personnel d’EMS, lui-même conditionné par le bien-être au travail des professionnel·les.
Genève

Dans son article du 6 juillet titré: «Licenciée pour avoir témoigné à la télé», Maria Pineiro nous fait part de la sanction subie par une aide-soignante qui s’est exprimée sur ses difficiles conditions de travail auprès de personnes âgées dépendantes en maison de retraite. Cette situation montre, une fois de plus, les risques pris par des subordonné·es quand iels révèlent que les moyens ne sont pas à la hauteur des objectifs déclarés, et les maltraitances qui en découlent tant pour le personnel que pour les personnes accompagnées (ici des personnes âgées – à l’instar des personnes handicapées, précarisées, mineures, emprisonnées, etc.).

Oser témoigner ainsi démontre bien la grande volonté de cette aide-soignante d’effectuer un travail de qualité dans le respect des personnes accompagnées. Sanctionner une telle expression engagée interroge dès lors sur les intentions de sa hiérarchie, car cet exemple risque fort de pousser les professionnel·les les plus investi·es à perdre leur motivation et, constatant l’impossibilité grandissante d’effectuer consciencieusement leur travail, de déconsidérer les personnes accompagnées. Situation particulièrement paradoxale dans un EMS qui affiche comme devise «la liberté d’être soi».

Cette déconsidération apparaît souvent de la part de membres de la hiérarchie, prioritairement préoccupés par des questions de gestion et d’image de l’institution. Généralement très éloignés des réalités quotidiennes des personnes accompagnées, ils fonctionnent souvent à coups de directives écrites. Un exemple intéressant est celui du contrôle du «forfait pour dépenses personnelles (FDP)» genevois, qui alimente le compte de dépenses personnelles des résident·es d’EMS touchant des prestations complémentaires. Sa gestion et son utilisation sont définies dans une directive cantonale qui précise notamment que «par souci de sécurité, les retraits importants (plus de 200 francs cumulés) devraient être évités».

J’ai appris que certains EMS ont transformé ce conseil en règle systématique et que, même si le solde de son compte de dépenses personnelles grossit en raison de faibles dépenses certains mois, ils ne laissent aucun·e résident·e tirer plus de 200 francs par mois sans «justification expresse». Somme bien insuffisante pour les cadeaux de Noël des petits-enfants et arrière-petits-enfants, ou si leurs anniversaires ou/et obtentions de diplômes tombent le même mois. Même si le formulaire de son EMS précise que «les retraits sont conditionnés au solde du compte» et que le sien est très largement positif, une personne âgée dépendante n’osera généralement pas faire valoir ses droits car elle se sent amoindrie, inutile, vulnérable. Et même si elle écrivait une lettre aux responsables, recevrait-elle une réponse? Ces responsables viendraient-iels discuter avec elle? Rien n’est moins sûr!

La directive cantonale précise que «la notion de dépenses personnelles présuppose le libre choix du bénéficiaire quant à l’utilisation du montant alloué», pour ses besoins privés «et ceux qui sont de nature à préserver sa dignité». Or cette «dignité» étant ressentie différemment par chacun·e, il est essentiel de créer un climat favorable aux relations d’écoute et de dialogue. Lesquelles sont complètement transversales pour les résident·es comme pour le personnel, et induisent d’importantes valeurs de justice, de respect, de solidarité. Car «on ne peut œuvrer au bien-être des personnes âgées sans se préoccuper du bien-être du personnel», disait Claudine Badey-Rodriguez, psychologue en gérontologie.

Etienne Rouget,
animateur socioculturel retraité.

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