Zaporijia nous appelle à anticiper
La destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka le 6 juin dernier a entraîné des inondations catastrophiques dans la région de Kherson en aval. Effet moins connu, la destruction a aussi vidé le lac de rétention et diminué le niveau du Dniepr aux abords de la centrale nucléaire de Zaporijia située en amont. Le lac artificiel qui servait d’unique approvisionnement en eau pour le bassin de refroidissement de la centrale a vu son niveau baisser de manière alarmante. Avec la situation à Zaporijia, anticiper avec sérieux la catastrophe possible en Suisse aussi devient une évidence.
La centrale nucléaire de Zaporijia possède six réacteurs nucléaires dont cinq ont été mis en arrêt en septembre 2022 et le sixième en «arrêt à chaud» afin de garder la production de vapeur nécessaire pour traiter les déchets radioactifs liquides. Si la consommation en eau d’une centrale à l’arrêt est moins importante, son approvisionnement demeure indispensable pour refroidir le cœur du réacteur et éviter la fusion.
Le niveau du lac artificiel bordant la centrale est descendu de 17 à 9 mètres de profondeur. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les réserves seraient suffisantes pour assurer le refroidissement des réacteurs pendant «plusieurs semaines, voire plusieurs mois», le temps de faire des travaux afin de soit déplacer en contrebas les prises d’eau pour la pomper où elle se trouve, soit d’opérer des forages pour puiser dans la nappe en profondeur.
Aujourd’hui la centrale est soumise à plusieurs menaces: d’une part l’évaporation naturelle de l’eau diminue les réserves, d’autre part l’étanchéité du bassin de rétention1>Vues du bassin avant/après le sabotage du barrage: www.youtube.com/watch?v=lPmXuO9OBqI sera compromise si le niveau du lac descend plus bas, puisque l’eau n’exercera plus de pression externe sur les digues du bassin2>www.liberation.fr/checknews/ «Une semaine après la rupture du barrage de Kakhovka, la baisse de la retenue d’eau menace-t-elle la centrale nucléaire de Zaporijia?». A cela s’ajoute un manque de personnel, ce qui augmente fortement le risque d’incidents et la capacité de les gérer lorsqu’ils surviennent. Enfin, dernier facteur de risque, la dépendance de la centrale, depuis sa mise à l’arrêt, au réseau électrique extérieur pour son fonctionnement, réseau qui a connu de nombreuses interruptions dues aux combats et sabotages en cours dans la région.
Ces derniers jours ont ajouté encore un degré au niveau d’alerte qui pèse sur la centrale: les services de renseignements ukrainiens affirment que Rosatom [le géant (public) russe de l’atome civil] et l’armée russe seraient prêts à quitter la centrale et qu’ils auraient saboté les réacteurs – accusation que les Russes nient, affirmant de leur côté que ce sont les Ukrainiens qui s’apprêtent à attaquer Zaporijia.
Les réacteurs ayant été à l’arrêt plusieurs mois, il n’y aurait plus de risque de dispersion d’iode radioactif. La prise de comprimés d’iode stabilisé est donc inutile et doit de toutes façons s’effectuer uniquement sur ordre de la Centrale nationale (suisse) d’alarme (Cenal). Par contre, la présence de césium 137 et de strontium 90 dans la centrale, ainsi que des combustibles situés dans des piscines de refroidissement à proximité, présentent une réelle menace. En cas d’accident à la centrale nucléaire, la recommandation est de suivre les injonctions que donneront la Cenal et ses relais cantonaux comme les protections civiles.
Ces événements font peser une lourde menace sur la région et sur l’Europe, dépendant du régime des vents en cas de relâchement de radioactivité. Cette situation devrait maintenir l’exclusion du nucléaire des scénarios d’avenir énergétique et imposer un calendrier de fermeture des quatre vieux réacteurs encore actifs en Suisse. Aussi, ce risque met en lumière le degré d’impréparation dramatique de notre pays: abris PC collectifs en état d’impréparation évident; absence de plans d’évacuation et d’hébergement des réfugié·es; prochain abandon de la bande FM et relais par des radio DAB épuisant plus rapidement les batteries; application AlertSwiss disponible sur demande seulement au lieu d’une autorisation délivrée à la Cenal d’envoyer des messages aux personnes situées en zone qui seraient mises en danger, et pas seulement les personnes qui auront téléchargé l’application.
Les normes de sécurité d’une centrale ne peuvent prendre en compte que des risques prévisibles, laissant les autres risques dans la catégorie officielle des «risques résiduels». Or le cas de Tchernobyl (erreur humaine) Fukushima (vague de tsunami plus haute que prévu) et celui de Zaporijia (sabotage du barrage) montrent clairement les limites d’une telle conception. L’ampleur de la catastrophe nécessite une sécurité absolue, pourtant impossible à assurer. L’instabilité politique, les catastrophes climatiques, la sécheresse, les actes de personnes déséquilibrées et tout ce qu’aujourd’hui nous sommes incapables de prévoir doit nous pousser à établir un calendrier de fermeture de nos centrales nucléaires qui constituent autant de sources de catastrophes et de cibles pour des agressions à venir.
1 www.chemistryworld.com/news/explainer-what-threat-does-the-kakhovka-dam-breach-pose-to-the-zaporizhzhia-nuclear-plant/4017601.article
2 www.sfen.org/rgn/a-zaporijia-les-operateurs-securisent-les-reserves-deau-apres-la-destruction-partielle-du-barrage-de-kakhovka/
3 Vues du bassin avant/après le sabotage du barrage: www.youtube.com/
watch?v=lPmXuO9OBqI
4 www.liberation.fr/checknews/ «Une semaine après la rupture du barrage de Kakhovka, la baisse de la retenue d’eau menace-t-elle la centrale nucléaire de Zaporijia?»
Notes