L’urgence climatique, une urgence de santé publique
L’urgence climatique n’est pas seulement le réchauffement de la planète, mais aussi la perte de biodiversité, ces deux phénomènes étant intimement liés. Le GIEC fait des constats objectifs qui dénotent l’urgence de prendre des mesures et qui démontrent le rôle essentiel joué par notre mode de production et par notre manière de vivre – donc l’empreinte humaine sur le climat. Mais on n’arrête pas de nous rappeler que «les temps politiques» sont lents et encore trop de monde nie la gravité de la situation. On devrait donc se réjouir de l’adoption en Suisse de la loi climat – c’eût été pire si elle avait été refusée, d’accord – ou des plans climat dans les différentes communes ou cantons. Cela reste pourtant souvent des «intentions» ou des «orientations» avec un échéancier flou.
Il est intéressant d’observer que l’on parle de plus en plus de s’adapter à la nouvelle donne climatique. De plus, une partie non négligeable de la population admet que l’énergie nucléaire – déclarée «propre» – serait importante pour assurer l’approvisionnement nécessaire: Tchernobyl et Fukushima semblent oubliés, comme l’absence de solution pour l’élimination des déchets radioactifs. Sans parler du désastre écologique laissé, par exemple, au Niger par la société française exploitant l’extraction d’uranium. C’est dire que, pour beaucoup encore, le changement climatique apparaît comme un sujet abstrait qui n’affecte pas le quotidien.
Peut-être devrions-nous commencer à comprendre que nos modes de vie induisant le stress climatique sont devenus délétères pour notre santé? Mais là encore, la prise de conscience est lente, y compris parmi les soignant·es.
A ce titre, la crise du Covid-19 est pourtant révélatrice. D’une part, l’apparition de l’épidémie et sa diffusion rapide qui l’a convertie en pandémie n’auraient pas eu lieu de cette manière il y a encore un demi-siècle: depuis lors nos habitudes (de consommation en particulier) ont changé de manière accélérée. D’autre part, le confinement – nécessaire mais contraignant – a montré aussi combien la nature profitait de cette «pause»: même les autres infections, comme la grippe, ont été moins fréquentes (c’est une bonne nouvelle qui ouvre des pistes de solutions). Enfin, si une bonne parade a été trouvée, qui a évité de nombreux décès – je veux parler des vaccins –, elle s’est révélée très coûteuse pour la société (et très juteuse pour les pharmas!).
Cela montre une fois de plus qu’il est plus coûteux pour les pouvoirs publics de réparer les dégâts que de les prévenir. Mais, là aussi, cela paraît bien loin et les autorités sont encore moins prêtes à mettre des limites – au nom de l’intérêt supérieur de la santé – à la croissance économique, qui reste un dogme absolu. Et pourtant des scientifiques, dont le travail est remarquable, ont montré et rendu public le risque à plusieurs niveaux de notre mode de vie davantage imposé que librement choisi. Je peux citer par exemple:
– Les limites de particules fines dans l’air, qui sont régulièrement dépassées et dont on sait leur lien avec l’augmentation des maladies cardiaques aiguës, ou des bronchites asthmatiformes chez les enfants;
– De nombreuses substances agrochimiques utilisées encore régulièrement – dont le glyphosate, toujours autorisé en Suisse – et qui ont été déclarées cancérigènes par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), organisme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont certaines en 2015 déjà. Et qui sont aussi impliquées dans la diminution de la fertilité masculine ici et ailleurs;
– Les problèmes d’obésité et de diabètes induits avec tout leur cortège de maladies secondaires, qui sont liés à la nourriture industrielle et aux boissons sucrées;
– Les sécheresses du sud de l’Espagne après l’abattage de nombreux arbres et le détournement de l’eau pour des cultures intensives, qui ont créé des problèmes d’accès à l’eau pour les populations locales;
– La désertification du Sahel avec une saison des pluies plus courte et plus erratique, qui augmente la malnutrition des enfants en particulier pendant la période dite «de soudure» (à la fin de la saison sèche) et pousse les populations à migrer.
Je pourrais allonger la liste. Tous ces problèmes sont connus et pourraient être évités si nous les prenions suffisamment au sérieux et si moins d’intérêts économiques étaient en jeu, qui n’ont pas grand-chose à voir avec le bien commun. Dit autrement et comme l’écrivait récemment Bertrand Kiefer dans la Revue médicale suisse, «il n’y aura pas de durabilité possible sans en finir avec notre absence d’égard vis-à-vis de ce qui n’appartient à personne mais concerne tout le monde: l’environnement, le vivant, la planète»1>Rev Med Suisse 2023;19;1252.
Dans ce sens, n’est-il pas absurde que des aliments cultivés de manière biologique soient plus onéreux que ceux induisant la malbouffe et dont on sait leur nocivité potentielle? C’est tout le paradoxe; et cela montre les limites de la régulation par le marché.
Notes