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L’argent, contre la liberté et la vie

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On ne s’en rend pas toujours compte en Suisse, mais il suffit d’avoir un certain âge et de franchir des frontières pour tomber dans des mondes très différents de ce qu’ils étaient quelques décennies plus tôt. Je ne parle pas des révolutions techniques qui ont amélioré la vie de beaucoup et compliqué ou pourri celle de qui était laissé de côté. Je veux évoquer la communication des médias et les discours sur l’avenir.

Jadis, une presse diversifiée et des médias plus ou moins contrôlés par le pouvoir politique informaient les citoyens et les citoyennes de manière pluraliste et en laissant une large place à l’éducation et à la culture, en échange du prix du journal ou de la redevance. On lisait des articles, écoutait des émissions ou regardait des films sans qu’ils soient sponsorisés ou entrelardés de publicités commerciales parasites. Les coûts de publication de la presse et la privatisation des médias audiovisuels ont mis fin à ce désintéressement et à une liberté relative des contenus. Puis internet et les réseaux sociaux, pour le meilleur et surtout le pire, ont volé la fonction d’information immédiate des journaux, des radios et télévisions tombés, pour la plupart, entre les mains de milliardaires qui pouvaient se les payer à des fins de propagande commerciale et politique.

Les majors de la communication sont ainsi rédigés, programmés et censurés en fonction d’une publicité et de promotions dont l’objectif est de vendre et non plus d’informer. Le prétexte culturel – musique, film, livre, information politique, sociale, économique… – est d’abord soumis à l’objectif marchand. Mais celui-ci n’est atteint qu’en fonction de l’audience. Ce qui peut conduire les rédactions et les directions de programmes à des situations schizophréniques.

C’est le cas, par exemple, de France Inter, qui battait des records d’audience grâce à une émission très critique des milliardaires et de leurs laquais au pouvoir («C’est encore nous!»). Une aubaine pour les annonceurs publicitaires et pour ses propres promotions, une catastrophe pour un gouvernement en difficulté et ses obligés! Bien sûr, ces derniers ont gagné en faisant censurer les humoristes hostiles, comme leurs prédécesseurs l’avaient déjà fait, au risque de tuer le média asservi.

L’un des pires crimes des censurés était de dénoncer les multinationales et banques françaises qui profitent sans scrupule, pour le climat ou les humains, des guerres et de la crise énergétique. Ainsi que l’hypocrisie d’un pouvoir qui prétend, à l’international, à une politique morale et écologique, mais envoie, à domicile, une police brutale et meurtrière contre les militant·es qui dénoncent l’inaction climatique locale, les pesticides toxiques pour la biodiversité ou les lobbies qui accaparent l’eau.

La France, avec ce pouvoir qui ment et réprime toute opposition écologiste, avec des oligarques qui monopolisent l’argent et les médias, ressemble de plus en plus aux Etats-Unis de Trump, dans une Europe qui laisse délibérément se noyer réfugié·es et candidat·es à l’immigration. Les «fake news», la désinformation en général, y sont devenues un moyen d’exercice du pouvoir.

Au milieu de cette Europe criminelle, entre le néofascisme italien, les dérives autoritaires en France et la progression des extrêmes droites partout, la Suisse est encore très relativement protégée par sa tradition de non-personnalisation du pouvoir et par ses instruments de démocratie directe (initiative populaire et référendum). Mais elle est toute aussi menacée par le pouvoir de l’argent sur les principaux médias et les campagnes politiques, ainsi que par les lobbies des commerces des armes, des énergies fossiles et des pesticides, soutenus par un monde bancaire puissant et sans scrupules, ainsi que par la complicité des partis de droite et d’extrême droite. Face aux milliards de la finance internationale, la protection de la nature, de la biodiversité, de la qualité de la vie, des libertés individuelles et d’un avenir humain possible devient de plus en plus problématique partout.

Dédé-la-Science, chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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