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14-18: combat global pour les femmes et la Terre

Transitions

14 juin: grève féministe; 18 juin: loi climat. Sur le plan institutionnel, ces deux événements n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Tous les experts autoproclamés en pragmatisme politique vous le diront: il ne faut pas mélanger les litanies à répétition des femmes pour l’égalité avec les subtilités politiques et techniques de la transition énergétique. Ils ont tort car il s’agit bel et bien d’un même combat.

Global: c’est le mot qui s’impose pour le caractériser. Ce qu’obtiendront à terme les féministes en se battant contre le système économique et patriarcal aura des répercussions sur la préservation du climat et les conditions de vie sur Terre. Ne serait-ce que parce que le dérèglement climatique exacerbe les inégalités entre hommes et femmes partout dans le monde. Arrêtons de compartimenter les problèmes et élevons-nous à la vision plus large que donnent les analyses systémiques de la destinée commune de notre espèce et de notre planète.

Il existe un mouvement dans ce sens qui prend de plus en plus d’ampleur: l’écoféminisme. Ça sent la sorcellerie, mais pas de panique! Ce mouvement existe depuis les années 1970 et il ne figure pas sur la liste des organisations terroristes!

Pour les écoféministes, les batailles à mener dépassent celles de la lutte institutionnelle pour la conquête de l’égalité et elles viennent bousculer un tabou, l’omnipotence du patriarcat et son emprise sur tous les aspects de la vie sociale et politique. Cette nouvelle perspective postule que l’oppression exercée sur les femmes, l’exploitation de leur force de travail et les violences sexistes, à l’échelle mondiale, procèdent de la même domination, pour la classe dominante, sur les ressources de la planète, exploitables sans limites, au risque de la destruction du vivant.

Trois professeures en études genre vont jusqu’à suggérer que notre ère n’est pas celle de l’anthropocène, comme l’énoncent les scientifiques, mais celle de l’androcène, en raison du rôle prépondérant du patriarcat dans l’appropriation de la nature. «Ni la Terre ni les femmes ne sont des territoires de conquête!», proclame Moins, journal romand d’écologie politique.1>Moins!, no 59; juillet-août 2022.

On a donc pu constater ces dernières années que les revendications des écoféministes sont progressivement devenues plus genrées et à coloration sexuelle. Bref retour en arrière: autrefois, quand nous manifestions pour le droit de vote et l’égalité des salaires, les hommes plantés sur le trottoir à nous regarder passer, goguenards, nous traitaient de «mal baisées». Aujourd’hui, sur la pancarte d’une féministe, on peut lire «Ma planète, ma chatte, sauvons les zones humides!» La provocation a changé de camp, mais on se situe sur le même registre!

Ce combat global implique désormais le refus de compartimenter la vie. Sur ce point, les femmes sont les championnes, habituées qu’elles sont à devoir avancer avec tout à la fois, développant des capacités diversifiées, des sensibilités, de l’inventivité et une intelligence des situations. Cela revient, affirme une militante à «faire exploser les distinctions entre le politique, le privé, le sacré, l’utopie et le réel».

Autre retour en arrière: une historienne raconte qu’en 1849, une institutrice eut l’outrecuidance de se présenter à une élection parlementaire, s’attirant la remarque narquoise d’un député: «L’idée qu’une femme puisse être législateur est aussi insensée que celle qu’un homme puisse être nourrice.» Réponse de la candidate: «Quels sont donc pour vous les organes qui sont nécessaires pour exercer la fonction de législateur?» Et l’historienne de conclure que la confusion entre pénis et pouvoir est constitutive «à la fois de la politique et de la masculinité».2>Interview de Joan W. Scott, historienne, Université de Princeton, rapporté par Nic Ulmi, Le Temps, 17 juin 2016.

Arrivé·es à ce point, quelques distinctions s’imposent. Si la femme est volontiers considérée comme la «fée du logis», ce n’est pas une raison pour en faire la fée de la planète! Pour les écoféministes, il s’agit de se garder d’une vision essentialiste de la femme. Il ne faut pas non plus faire d’elles des Amazones à la conquête du pouvoir mâle, ce qui représenterait en quelque sorte l’hubris de l’émancipation. Pour les écoféministes, le but de ce combat serait d’atteindre une forme de «non-pouvoir».

Et c’est peut-être un homme, André Gorz, qui a le mieux éclairé ce concept lorsqu’il écrivit en 1970 dans ses Adieux au prolétariat: «Le mouvement des femmes devient une composante motrice de la révolution postindustrielle, et, à bien des égards, son avant-garde. Il n’a alors plus pour but de libérer la femme des activités domestiques, mais d’étendre la rationalité non-économique de ces activités au-delà de la maison et d’y gagner les hommes.»

Bon! Le 14 juin, c’est passé. Que cette grève trouve son apothéose avec l’acceptation massive de la loi sur le climat!

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Anne-Catherine Menétrey est une ancienne conseillère nationale. Dernière publication: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

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