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Acacias 1: fabriquer la ville…. avec qui?

L’IMPOLIGRAPHE

Le 18 juin, les habitant·es de la Ville de Genève disposant du droit de vote et l’exerçant se prononceront sur le préavis positif donné (sous conditions) par le Conseil municipal au plan localisé de quartier (PLQ) Acacias 1, qui s’inscrit dans le cadre du plan directeur de quartier du vaste projet du PAV (Praille-Acacias-Vernets). La Ville va donner l’avis de ses habitant·es sur ce qu’il convient de faire d’une zone industrielle et artisanale… Et comment «fabriquer ensemble la ville de demain». Une expression qui ne tombe pas du ciel, mais de Marseille. Après tout, pour que Marseille et Genève se rejoignent, il ne s’agit que de remonter ou descendre, sur la plus longue partie du parcours, le Rhône, non?

Il y a une semaine, une délégation de trois commissions du Conseil municipal de Genève était reçue à Marseille par les autorités politiques, des responsables policiers (on les oubliera, ceux-là…) et des associations de la deuxième et la plus ancienne ville de France. Il y fut notamment question d’une charte adoptée par le Conseil municipal de la Ville de Marseille en 2021, «Fabriquons ensemble la ville de demain». Or dans le vote sur le PLQ Acacias 1, c’est bien aussi de la «fabrique de la ville de demain» qu’il s’agit. Et si on regardait depuis Marseille ce qui nous est proposé à Genève? Si on se demandait ce qui dans la charte marseillaise correspond à ce qui devrait s’imposer à Genève?

Si surprenant que cela semble, les enjeux marseillais et genevois sont souvent les mêmes, si les situations, compositions sociales, moyens, taille des deux villes et les systèmes institutionnels dans lesquels elles sont insérées paraissent incomparables. Quand l’adjointe du maire de Marseille chargée de l’urbanisme, Mathilde Chaboche, écrit que «Marseille manque cruellement de logements, notamment de logements sociaux», et qu’il faut donc «construire plus, pour toutes et tous, mais construire mieux», ne peut-on l’écrire aussi pour Genève? Et quand elle pose au nom de la municipalité marseillaise le «double impératif de justice sociale et de transition écologique», pose-t-elle d’autres impératifs que ceux que nous posons? Bien des revendications sont communes aux habitant·es de Marseille et de Genève, comme celle de «coconstruire la Ville avec ses habitants».

Evidemment, reste ensuite à les relever, ces impératifs… et à vérifier si les projets qui nous sont soumis sont nature à les relever – sans nous faire d’excessives illusions sur leur respect à Marseille même: en errant dans le quartier Euroméditerranée, tout sauf durable, on peut mesurer la distance entre discours et réalité, de même grandeur à Marseille et à Genève… La charte adoptée par le Conseil municipal de Marseille pose des enjeux et engagements que l’on peut aussi poser pour Genève. Ainsi de ceux-ci:

• «s’inscrire dans un processus de dialogue avec les habitants»; or le PLQ Acacias 1 est combattu par un collectif d’associations d’habitant·es et de quartier, les syndicats SSP et SIT et les partis de la gauche de la gauche…;

• «respecter le contexte du paysage urbain, son histoire et sa géographie, faire avec le ‘déjà-là’, transformer, réhabiliter plutôt que démolir, favoriser le développement du végétal»; or le PLQ prévoit la démolition de la plupart des bâtiments existants, et, selon ses opposant·es, végétalise insuffisamment;

• «fabriquer une densité adaptée, aérer les cœurs d’îlots, préserver l’intimité des logements, dégager des vues depuis l’intérieur des constructions»; or les opposant·es dénoncent «un urbanisme des inégalités» avec des logements dans les étages supérieurs pour les hauts revenus et «autour de petites courts fermées» pour les revenus inférieurs.

On se dira que transformer, quasiment au centre-ville de Genève, une zone bétonnée où règne en maîtresse la bagnole en un quartier plus végétalisé, avec une rivière à ciel ouvert, serait une excellente chose. On se dira aussi qu’il est logique et opportun de densifier au centre pour ne pas avoir à le faire en périphérie, sur les espaces encore plus ou moins libres et verts, et que c’est cela «construire la ville en ville»: ce qu’on ne mettra pas aux Acacias, et plus largement au PAV, on devra le mettre ailleurs parce que c’est le besoin qui est prégnant… Sauf qu’il s’agit de bien les définir, ces besoins: Genève a-t-elle besoin de plus encore de bureaux?

Le 18 juin, on ne se prononcera pas sur de belles intentions (que nul n’ose ouvertement contester) mais sur le projet supposé les concrétiser, donc sur les besoins auxquels il veut répondre: ne nous demande-t-on pas de nous prononcer au XXIe siècle sur un projet répondant aux besoins, aux critères, aux réflexes du XXe?

Nous avons à porter sur le projet de PLQ qui nous est soumis un regard à la fois critique (on n’aura pas à se forcer) et pragmatique (il nous faudra un peu d’effort). L’avantage de ne donner qu’un préavis, c’est qu’on peut dire ce qu’on veut. Dire «oui», dire «oui» avec des conditions ou dire «non». Le désavantage de cet avantage, c’est qu’on ne fait que dire, on ne décide de rien. On dit ce qu’on souhaite à ceux qui décident. C’est cela, un préavis: ça n’a que le poids de qui le donne.

La question ultime est de savoir qui «fabrique» la ville. Dans le titre de la charte marseillaise, c’est bien l’adverbe qui nous importe: «fabriquons ensemble la ville de demain». Ensemble avec qui? Mais pouvoir donner Marseille en exemple à Genève, c’est tout de même déjà un petit plaisir auquel on aurait bien tort de renoncer.

Pascal Holenweg est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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