Lutte antiterroriste au Sahel: le Niger montre-t-il la voie?
Au sein des pays et régions sahéliennes d’Afrique de l’Ouest et centrale, aux prises avec des groupes armés liés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique, le Niger, dont la situation sécuritaire est relativement meilleure que celle de ses voisins, serait-il en train de montrer la voie? L’approche nigérienne, qui allie dialogue avec les chefs djihadistes et actions militaires ciblées, a en effet permis à Niamey de remporter de beaux succès. Notamment dans la partie nord de la région de Tillabéri, frontalière avec le Mali et le Burkina Faso, gangrenée par les incursions de groupes terroristes, où cette stratégie a permis le retour progressif de l’Etat dans la région, accompagné par une reprise des activités agropastorales par la population.
Cette main tendue aux Nigériens qui ont rejoint les rangs des groupes djihadistes pour les convaincre de «revenir dans la République» a donné la possibilité à des centaines de «repentis» de rejoindre un programme de déradicalisation, assorti d’une formation professionnelle, avec, à la clé, une aide pour favoriser leur réinsertion dans le tissu économique local. L’originalité de cette démarche s’inscrit dans l’histoire même du Niger, qui avait été confronté, entre autres, à des rébellions touarègues, résolues grâce à une pratique du dialogue et à la mise en place de programmes de démobilisation des combattants visant leur resocialisation.
Alors que ses voisins maliens et burkinabès ont décidé de rompre toute relation avec Paris, le Niger a accueilli des troupes françaises rescapées du dispositif Barkhane au Mali, lesquelles se veulent désormais «légères et modulables» pour éviter tout enlisement. Les responsables de ces «Forces françaises au Sahel» assurent avoir tiré les leçons de leur expulsion du Mali l’été dernier, et clament leur volonté de se mettre au service des pays qui le souhaitent, tout en agissant sous leur commandement.
Dans un environnement régional plutôt hostile aux forces françaises, le président Mohamed Bazoum, élu à la présidence du Niger en avril 2021, assume le choix de ce partenariat militaire qui fournit à son pays formation, matériel de guerre, y compris avions et drones, afin de permettre à l’armée nigérienne de «monter en puissance»; et, à terme, d’assurer elle-même la sécurité des populations et l’intégrité de son territoire.
Incarnation de ce nouveau type de partenariat militaire entre la France et le Niger, une opération a récemment été organisée dans la région du Liptako, située à cheval sur les frontières communes du Niger, du Mali et du Burkina Faso, où sévissent les katibas (unités de combattants) du groupe Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), dont les incursions se multiplient depuis le départ des troupes françaises du Mali. Des militaires nigériens ainsi que des «paras» français de la Légion étrangère ont été largués ensemble en parachute pour reprendre aux djihadistes une position militaire; une fois l’opération terminée, les légionnaires français ont aussitôt regagné leur base à Calvi, en Corse.
Dans un grand entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique de cette semaine, le président du Niger Mohamed Bazoum, seul civil à la tête d’un Etat sahélo-saharien, ne minimise en aucun cas l’ampleur de la lutte contre le djihadisme. Ainsi est-il parfaitement conscient que, pour un jeune, «posséder une kalachnikov et une moto est beaucoup plus lucratif et gratifiant que de passer ses journées à garder un troupeau». Il qualifie cependant d’«erreur tragique» la décision du Burkina Faso de distribuer massivement des armes à des civils pour «défendre leur patrie». Avec les risques de transformer ces «volontaires» en «chair à canon pour les terroristes»; et de voir se multiplier abus et exactions, car «nul ne contrôle la moralité et le comportement de gens recrutés à la hâte et lâchés dans la nature». Mohamed Bazoum constate que «c’est hélas exactement ce qui se passe» au Burkina Faso voisin.
Catherine Morand est journaliste.