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Prière de ne pas déranger

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Les «attaques maraîchères» d’activistes du climat contre des terrains de golf ont scandalisé: voir quelques mètres carrés de ces tendres gazons retournés et recouverts de patates agresse le regard même de ceux qui ne pratiquent pas ce sport. Du coup, on lance un débat à Infrarouge et les chroniqueur·euses s’en donnent à cœur joie. Haro sur la conseillère nationale et présidente des Vert·es genevoi·ses Delphine Klopfenstein, qui, au téléjournal, a eu l’impudence de ne pas prononcer les mots fatidiques: «Je condamne». Ce tumulte réprobateur se mue cependant en caisse de résonance pour les activistes: l’opinion publique découvre grâce à eux que les «greens» sont dévoreurs d’eau et de produits phytosanitaires, et qu’ils monopolisent des terres cultivables, celles-là même qui manquent à Bio Suisse, selon le récent appel lancé pour trouver 15 000 hectares à cultiver.

Autre lieu, autre espace saccagé: «Une vision apocalyptique», titre 24 Heures à propos d’un espace de stationnement rendu volontairement inaccessible aux gens du voyage. «Nous avons clairement appelé les propriétaires à faire quelque chose pour éviter de [les] recevoir à nouveau», avoue la syndique de Bussigny. 1>24 Heures du 4 mai 2023.

Si à chaque fois que des golfs sont saccagés, les écologistes perdent des voix, comme l’affirment avec une joie mauvaise les défenseurs du système, l’usage de méthodes comparables par des élues pour des motifs douteux fera-t-il plonger les partis bourgeois?

En matière de désordre et de désobéissance civile, certaines actions sont mieux perçues que d’autres. La monumentale pagaille provoquée en France par les manifestations contre la réforme des retraites le montre de manière éclatante. Enkystés dans leur voiture au milieu des bouchons, les automobilistes soupirent: «C’est ennuyeux, mais on comprend». Au tunnel du Gothard, les automobilistes immobilisés pendant plusieurs heures ronchonnent mais, eux aussi, patientent avec philosophie. Que des gens de Renovate Switzerland viennent se coller les mains au bitume, imposant quelques minutes de plus à poireauter, c’est ­criminel!

Autre exemple: au soir des élections cantonales genevoises, un militant d’Extinction-rébellion fait irruption sur le plateau de Léman bleu: «Ah non! La honte!», s’étrangle l’animateur. Du coup, on pense à la journaliste russe qui a fait de même à Moscou, dirigeant prestement son panneau «No War» vers l’œil des caméras. Elle est une héroïne, alors que l’insolent Genevois est relégué dans la catégorie des «délinquants narcissiques de la contestation», selon les mots de Philippe Nantermod à Infrarouge. On nous dira que la guerre, c’est plus grave que le climat. Vraiment?

Des actions de désobéissance civile, il y en a eu des tonnes et il y en aura encore. Que les amoureux de l’ordre économisent leur potentiel d’indignation! Les collectifs sont nombreux et leurs champs d’intervention diversifiés. C’est à la fois multiple et global, le plus souvent symbolique, non-violent et généralement bien argumenté. Certes, des vandales et des casseurs sans foi ni loi sont parfois à l’œuvre, mais n’y a-t-il pas aussi dans les institutions politiques des élu·es qui tiennent des discours stupides et avancent des propositions scélérates? Ils bénéficient, eux, de l’immunité parlementaire, alors que les activistes subissent les foudres de la justice… Dans une chronique parue dans Le Temps, Laure Lugon (par ailleurs excellente journaliste) souhaite vivement que ces actions cessent et qu’«on arrête de s’amuser».2>Le Temps du 6 mai 2023.Je me demande si le militant enfermé depuis le 15 mars à Champ Dollon et tous ceux qui se sont pris des amendes, des peines de prison et des casiers judiciaires estiment que «s’amuser» est bien le terme qui convient…

S’en prenant au jeune perturbateur de Léman bleu, Laure Lugon lui reproche de n’avoir «pas réussi à transmettre autre chose que son angoisse, comme si contaminer les gens à la panique allait faire baisser le mercure». «Je veux que vous paniquiez!», lançait Greta Thunberg devant l’assemblée de l’ONU. Pour beaucoup de nos concitoyen·nes, refuser d’être dérangé, c’est refouler la peur, bannir le risque, redouter l’incertitude, alors que ce sont ces sentiments qui nourrissent l’action et permettent d’éviter le danger.

Que tous ceux qui affirment doctement que l’impact des actions de désobéissance civile est nul se ravisent: sans elles, nous aurions des centrales nucléaires, mais pas le canton du Jura; des objecteurs de conscience, mais en prisons; des avortements, mais clandestins. Paradoxalement, on peut penser que la hargne déversée sur les activistes du climat sert leur cause. Le pire serait en effet qu’elle s’englue dans l’indifférence et le mépris. «Je crains moins le bruit des bottes que le silence des pantoufles», écrivait Max Frisch (je cite de mémoire)…

Notes[+]

* Ancienne conseillère nationale.

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lundi 8 janvier 2018

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