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«Les droits économiques et sociaux sont toujours ignorés à Mayotte»

A la fin avril, environ 1800 policiers et gendarmes français ont entamé une opération de police massive dans l’archipel de Mayotte, un département français de l’océan Indien, avec pour objectif de démolir des bidonvilles et d’expulser un grand nombre de personnes migrantes en situation irrégulière. Eclairage de l’ONG Human Rights Watch.  
France

Les destructions de bidonvilles et les expulsions sommaires de personnes sans-papiers par les autorités françaises à Mayotte ne sont pas une nouveauté. Mais l’ampleur de l’opération policière, planifiée depuis longtemps mais officialisée seulement la dernière semaine d’avril, est exceptionnelle.

Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a décrit l’opération comme un moyen de lutter contre la criminalité, l’insalubrité publique et l’immigration clandestine, faisant ainsi le jeu des préjugés qui assimilent l’immigration aux maladies et à la délinquance. Le nom de l’opération, Wuambushu, signifie «récupérer» ou «reprendre» en shimaore, la langue la plus couramment parlée à Mayotte, ce qui suggère implicitement que les îles sont confrontées à un risque existentiel.

En réalité, l’histoire et la situation géographique de Mayotte font que les mouvements migratoires, notamment en provenance des Comores, situées à moins de 70 km, ont toujours fait partie du contexte social de l’île. La langue, la religion et les liens familiaux unissent étroitement Comoriens et Mahorais.

Si les premiers jours de l’opération ne se sont sans doute pas déroulés comme les autorités françaises l’avaient prévu – une décision de justice a suspendu les premières démolitions et les Comores ont fermé leurs ports aux bateaux transportant des personnes expulsées –, ces développements ne semblent pas de nature à entraver la détermination des autorités françaises à mener à bien leur mission. L’importante présence des forces de sécurité à Mayotte et les déclarations de Gérald Darmanin suggérant que l’opération pourrait durer des mois ont suscité une peur considérable.

Il ne fait aucun doute que la France a du travail à faire à Mayotte, département le plus pauvre du pays. Près de 80% de la population vit en situation de pauvreté. Les taux de scolarisation et de réussite scolaire sont catastrophiques, et plus de la moitié des enseignants ont des contrats temporaires et reçoivent une formation insuffisante. Mais détruire les habitations et séparer les familles par des expulsions sommaires ne répondra pas aux besoins sociaux urgents à Mayotte, y compris en matière de sécurité publique. Les autorités devraient plutôt s’efforcer de mieux protéger le droit au logement et de veiller à ce que les gens vivent dans des conditions dignes.

Les expulsions abusives ne sont qu’une illustration des dérogations juridiques et des politiques défaillantes qui privent les personnes à Mayotte de leurs droits fondamentaux et exposent les étrangers à de graves violations, dans un héritage durable du colonialisme.

Les autorités françaises auraient pu consacrer leur énergie à la protection des droits économiques et sociaux des personnes vivant à Mayotte. Elles le peuvent encore. Mais il est fort à craindre qu’elles poursuivront leurs actions de destruction, quel qu’en soit le coût humain.

* Conseiller juridique senior, division Droits des enfants, Human Rights Watch (HWR), www.hrw.org/fr/

Opinions Agora Michael Garcia Bochenek France

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