Chroniques

Genève, la droite de la honte

En coulisse

En 1998, en France, le quotidien Libération titrait en une, au-dessus de la photo de cinq politiciens français de centre droite: «Honte!» Ces hommes, outrepassant les consignes de leur camp, avaient scellé une alliance électorale avec le Front national lors des élections régionales. Les cinq politiciens, parmi lesquels Charles Million (ancien ministre de la Défense et futur soutien d’Eric Zemmour) seront exclus de leur parti, l’UDF (Union pour la démocratie française, ancêtre du MoDem).

Dans la plupart des démocraties européennes, il existe une règle tacite, qui veut qu’en dépit de leurs divergences idéologiques, les partis de gauche comme de droite ne passent jamais d’alliance électorale avec l’extrême droite. A certaines occasions, dans une optique de «front républicain», ces partis s’entendent même pour retirer leurs propres candidat·es et soutenir celles et ceux de la formation adverse la mieux placée pour faire barrage à l’extrême droite. Cette méthode dite du «cordon sanitaire» est, à des degrés divers, toujours en vigueur dans plusieurs pays.

Même si l’extrême droite a partout gagné du terrain, que ses idées ont infusé bien au-delà de ses propres formations, le minimum d’éthique représentative, pour la droite dite républicaine, consiste à refuser toute alliance électorale avec ses représentant·es. Imagine-t-on un seul instant le MoDem de François Bayrou présenter des candidat·es commun·es avec le Rassemblement national? Même les Républicains du très droitier Eric Ciotti ne s’y risquent pas! Il existe un minimum de vernis à préserver, quelles que soient les autres compromissions. En Belgique, en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, le barrage subsiste. Pas à Genève! Le choc est grand. Comment a-t-on pu tomber si bas? Comment a-t-on pu brader des valeurs fondamentales dans un canton réputé pour sa tolérance?

Pour toute personne progressiste, la droite genevoise a certes toujours été un adversaire politique, de par sa nature même de gardienne de l’ordre social inégalitaire, mais, en dépit de ce schisme fondamental, il existait jusqu’ici un point de convergence important, à savoir l’adhésion à des valeurs antiracistes et antidiscriminatoires de base. On se souvient de Guy-Olivier Segond ou Peter Tschopp, caciques radicaux à la pointe du combat antiraciste, manifestant leur opposition à la venue à Genève de Jean-Marie Le Pen (organisée entre autres par d’actuels membres de l’UDC) en 1986. Le gouvernement genevois, à majorité de droite, avait d’ailleurs interdit d’entrée dans le canton le leader du Front national invité à un débat.

On pensait cet héritage solide; il n’en est rien. Les actuels présidents du PLR et du Centre ont franchi la ligne rouge et ont passé, au mépris d’une grande partie de leur électorat et de leurs propres «valeurs humanistes» affichées, une alliance électorale avec le MCG et l’UDC.

L’UDC est la référence-phare de l’extrême droite européenne. Du Rassemblement national français en passant par le Vlaams Blok flamand ou l’AfD allemande (qui comprend des nostalgiques du nazisme), toute la galaxie xénophobe fait l’apologie de sa stratégie, de ses succès. Les campagnes politiques de l’UDC, notamment leur iconographie, sont des boussoles pour ces formations, qui ne peuvent se permettre ce degré de décomplexion au sein de leurs pays respectifs.

La campagne anti-minarets de l’UDC qui représentait les minarets en missiles sous le regard menaçant de femmes voilées, les moutons noirs expulsés par les gentils moutons blancs, les chevilles noires des immigrés qui foulent le sol helvète, ou la dernière campagne publicitaire en date montrant un méchant délinquant basané qui agresse un policier blanc sont autant de délires racistes devenus des «tubes» pour l’ensemble de la fachosphère européenne. Cette dernière campagne faisait partie, au premier tour de ces élections cantonales, de l’arsenal publicitaire de l’UDC Genève, membre de la désormais Alliance de droite. On appréciera.

La place manque pour détailler l’idéologie ultra-réactionnaire, notamment antiféministe, de l’UDC, dont chaque progrès est une source de danger pour l’ensemble du corps social. Fort heureusement, des voix dissidentes se sont fait entendre; plusieurs membres du Centre et du PLR ont donné leur démission, sauvant ainsi leur honneur. Mais c’est bien peu au regard de ce scandale, qui n’est pas non plus traité à sa juste mesure par les médias; ces derniers se contentent de couvrir la campagne avec des questions bateau posées à chaque candidat·e, en omettant totalement de relever l’aspect sordide de cette légitimation inédite, à ce degré, dans notre canton, des idées d’extrême droite. La responsabilité (ou plutôt l’irresponsabilité) des chefs du PLR et du Centre, comme celle de leurs candidates, est grande. Il est vital de leur faire barrage dans les urnes.

Dominique Ziegler est auteur et metteur en scène,
www.dominiqueziegler.com

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lundi 8 janvier 2018

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