On nous écrit

Arrêtez de jouer avec nos existences!

Sophie Coulet appelle les gouvernements à mettre en œuvre ce pour quoi ils ont été élus, à savoir protéger leurs citoyens.
Climat

A l’heure où la nécessité de se passer des énergies fossiles est criante, nous tolérons que TotalEnergies et la China national offshore oil corporation mènent de nouveaux projets pétroliers et construisent le plus long oléoduc chauffé du monde (Eacop, 1443 km) qui, en traversant l’Ouganda et la Tanzanie, déplace déjà des populations, détruit des zones riches en biodiversité, bouleverse leur équilibre en faisant courir le risque de libérer des virus, et procurera un pétrole qui aggravera le réchauffement climatique et la pollution. Il est bien compréhensible que les deux pays qui abritent ces ressources soient tentés de les exploiter. Il aurait fallu être ambitieux et leur proposer un accord acceptable afin qu’ils puissent se permettre d’y renoncer.

A l’heure où la toute-puissance de ces géants des énergies fossiles est indécente, nous observons, sans réagir, la Suisse continuer à être le centre névralgique du trading du charbon.

Nous acceptons aussi que nos dirigeants rechignent à suivre le mouvement de sortie du Traité sur la charte de l’énergie, traité qui permet à ces entreprises d’engranger des sommes faramineuses en recourant aux tribunaux d’arbitrage. Lorsque les gouvernements tentent de faire ce pour quoi ils ont été élus, à savoir protéger leurs citoyens en freinant l’exploitation des ressources portant atteinte au climat et à la santé publique (leur Duty of care, dirait l’avocat Roger Cox), la simple menace d’un arbitrage suffit souvent à les faire plier: soit les Etats renoncent à agir, soit ils paient des milliards aux entreprises dont ils sont accusés de dégrader les activités.

A l’heure où chacun est appelé à faire son bilan carbone pour diminuer sa contribution au réchauffement climatique, on appelle simplement les mêmes multinationales pétrolières et gazières à bien vouloir réparer les fuites de méthane sur leurs installations, alors que le méthane est le deuxième gaz à effet de serre le plus important après le CO2, et qu’il leur suffirait, pour effectuer les réparations qui s’imposent, de consacrer une part minime des milliards qu’elles ont dernièrement distribués à leurs dirigeants et actionnaires. Des technologies efficaces existent, mais les installations continuent à rejeter silencieusement, chaque jour, des quantités de méthane équivalentes à celle libérée par l’explosion du gazoduc Nord Stream en septembre 2022 qui, elle, avait fait grand bruit.

A l’heure de l’urgence et de l’envie de construire un avenir meilleur, va-t-on laisser encore longtemps notre futur entre les mains d’entreprises qui fonctionnent, nous le savons, à l’appât du gain? Il faut cesser de leur demander, de nous en remettre à leur bon vouloir, de croire en leurs promesses (si TotalEnergies développe ses quelques activités de captage de CO2, c’est parce que le procédé lui permet ensuite de récupérer les dernières gouttes de pétrole de ses puits en fin de vie).

Il faut imposer à ces géants, qui sont, à ce jour, tout-puissants, d’arrêter de jouer avec nos existences. Faire en sorte que leurs dirigeants cessent de prendre des décisions pour majorer leurs rémunérations quelles qu’en soient les conséquences pour nous tous. Engager pénalement la responsabilité des organes de direction semble être une voie prometteuse que Roger Cox, qui a déjà fait condamner des Etats et Shell, envisage. Il faut aussi des décisions politiques fortes et coordonnées internationalement. A ne pas écouter la colère qui gronde, nos politiciens risquent de déclencher, par leur inaction, des révoltes dont l’ampleur mettra à mal la transition pacifique qui s’impose et à laquelle nous pouvons et voulons encore croire.

Sophie Coulet, Genève

Opinions On nous écrit Votre lettre Climat

Connexion