Chroniques

La drépanocytose, une maladie «orpheline»?

À votre santé!

C’est encore du sud du Niger que j’écris, où je travaille depuis maintenant près de deux mois dans un service de pédiatrie d’une petite centaine de lits. Si le paludisme, même à cette saison sèche, domine largement les causes d’hospitalisation pour ses conséquences graves que sont l’anémie sévère et les atteintes neurologiques, les pneumonies sont aussi fréquentes, sans parler des malnutritions graves associées chez au moins un tiers des enfants. Mais ce qui attire mon attention, c’est le nombre de patient·es qui se présentent avec un tableau clinique en arrière-fond de drépanocytose.

La drépanocytose, appelée aussi anémie falciforme, est une maladie génétique qui affecte les globules rouges, responsables du transport de l’oxygène dans le sang. Cette maladie, selon l’OMS, concerne environ 300 000 naissances par an dans le monde, dont au moins les deux tiers dans la région africaine, en particulier sahélienne. Il faut avoir hérité d’un gène porteur de chaque parent pour présenter des symptômes. Ainsi un couple dont le premier enfant est malade court un risque de 25% que son deuxième enfant le soit aussi, et de 50% que ce dernier soit un porteur sain pouvant à son tour transmettre potentiellement la maladie! C’est la maladie génétique connue la plus répandue au monde.

Pour nos jeunes patient·es concerné·es, hélas, nous ne traitons que les complications aiguës que sont les anémies graves (avec souvent des taux d’hémoglobine à 2g/litre, pour une normale à 11!), les crises dites «vaso-occlusives» très douloureuses, ou les pneumonies et les ostéomyélites – infections des os particulièrement invalidantes entraînant des fractures très difficiles à traiter ici, voire des complications neurologiques de type AVC. Quand ils ou elles vont mieux – et c’est souvent le cas malgré tout – on les renvoie dans leur communauté sans aucun suivi, puisqu’il n’existe ni programme ni consultations pour ces malades chroniques dans la région. Pourtant, on sait que sans un contrôle régulier, un enfant atteint de drépanocytose sur deux mourra avant l’âge de cinq ans. C’est difficile d’en faire une priorité de santé absolue dans un pays qui peine à couvrir ses programmes de vaccination et qui manque de moyens dédiés à la santé, me direz-vous. Et pourtant…

Une étude récente faite au Burkina Faso 1>«Etude sur la prévalence nationale au Burkina Faso», Ministère de la santé, 2020., voisin du Niger, a montré qu’environ 35% de la population burkinabé est au moins porteuse d’un gène transmetteur de la maladie. Cette étude a révélé une prévalence de la drépanocytose de 4,63% dans la population, avec des différences importantes entre les zones urbaine et rurale et une prédominance dans le nord du pays. Il s’agit d’un enjeu de santé publique majeur. Il n’y a pas de raison que la prévalence soit différente au sud du Niger, qui correspond plutôt au nord du Burkina Faso.

En 2006 déjà, l’assemblée mondiale de la santé de l’OMS invitait les Etats membres «à élaborer, mettre en œuvre et renforcer de façon systématique, équitable et efficace des programmes nationaux intégrés et complets de prévention et de prise en charge de la drépanocytose, incluant la surveillance, la diffusion de l’information, la sensibilisation, le conseil et le dépistage». Car il était alors déjà évident qu’un suivi régulier de cette maladie permettait d’éviter la plupart des complications ou de les minimiser. Un dépistage néonatal existe et est pratiqué dans les pays occidentaux pour les populations à risque. Un conseil génétique est possible. Et récemment, un test de dépistage rapide et peu coûteux a montré une bonne efficacité.

En août 2022, les ministres africains de la Santé, réunis à Lomé, au Togo, ont lancé une «campagne visant à intensifier la sensibilisation, à renforcer la prévention et les soins afin de réduire le nombre de cas de drépanocytose». Le Niger, à l’instar d’autres pays de la région, a créé un Centre national de référence de la drépanocytose avec des antennes régionales. C’est un pas certes important. Il n’empêche que très peu de patient·es peuvent bénéficier du suivi nécessaire – qui peut être assez coûteux – et que la prévention et le dépistage ­néonatal ne sont accessibles qu’à une minorité de la ­population.

Voilà encore un exemple de l’iniquité de l’accès à la santé qui doit nous interpeller; ce sont essentiellement les enfants du Sahel qui, dans ce cas, en font les frais.

Notes[+]

Bernard Borel est pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.

Opinions Chroniques Bernard Borel A votre santé!

Chronique liée

À votre santé!

lundi 8 janvier 2018

Connexion