Le mot de la traductrice – Sophie Palmerini
Le passage que j’ai traduit se situe au début de Rossa è la neve. Je l’ai choisi pour que le lecteur puisse découvrir le roman tel que l’autrice l’a conçu, en s’immergeant tout d’abord non pas dans l’histoire principale, mais dans sa genèse, cinquante ans plus tôt. On fait alors la connaissance de deux protagonistes: un nain, Bernardo, et une religieuse, Sœur Maria Laura. Tout ou presque semble les opposer, hormis le fait qu’ils aiment se recueillir dans la même église et que, le jour où leur destin bascule, tous deux ont «le temps» devant eux.
Le temps occupe justement une place centrale dans cette œuvre, décomposée en plusieurs histoires qui se déroulent sur des périodes différentes, mais qui s’imbriquent les unes dans les autres. Il est, d’une part, le fil rouge que l’enquêtrice Delia Fischer, personnage principal, remonte et démêle au fur et à mesure du récit, jusqu’à découvrir l’origine du mystère qu’elle tente de résoudre; et d’autre part, il est l’élément antagoniste, dans cette course contre la montre qu’elle entame pour retrouver Dylan, le jeune homme porté disparu.
Le temps marque aussi le rythme syntaxique. Les paragraphes descriptifs se composent de phrases plutôt longues, entrecoupées par les commentaires du narrateur, souvent plus brefs, qui tendent à se confondre avec les pensées des personnages. L’un des enjeux de cette traduction a été de préserver autant que possible le rythme du texte original, sans entraîner de lourdeurs ni trahir ses effets stylistiques. Par exemple, la première phrase de l’extrait («Sœur Maria Laura jeta un regard à l’horloge et se dit qu’il était déjà tard, mais que pour réciter deux Ave Maria dans son église préférée, elle avait encore le temps») comporte de nombreuses informations. Pour rendre sa lecture légèrement plus fluide, j’aurais pu m’éloigner de l’originale et la scinder en deux: Sœur Maria Laura jeta un regard à l’horloge. Elle se dit qu’il était tard […]. Cependant, cette solution aurait alors fait perdre à la phrase son efficacité. En effet, le cumul des propositions ralentit la lecture, renforçant ainsi l’impression que le personnage «avait encore le temps».
De même, lorsqu’il est question de l’accident de Peppino, la phrase originale met en relief la brièveté de l’action et sa conclusion sans appel («Collo spezzato e per lui non ci fu niente da fare.») Une traduction littérale, avec la conjonction de coordination «et», aurait toutefois manqué d’idiomaticité. Afin de conserver malgré tout le dynamisme de l’action, je n’ai pas voulu étoffer le début de la phrase, en écrivant par exemple «il se brisa la nuque», qui aurait eu pour effet de casser le rythme. J’ai opté à la place pour un point-virgule: «Nuque brisée; on ne put rien faire pour lui.»
A l’inverse, dans la dernière phrase du passage, il m’a paru plus judicieux cette fois de privilégier la fluidité au rythme, et de reformuler légèrement le texte. Une traduction littérale aurait donné: «Et, même s’il s’était trompé et qu’en passant par-là il allait en réalité rallonger son parcours, il n’était pas pressé.» J’ai préféré déplacer la locution adverbiale «en réalité» de la manière suivante: «Et même s’il s’était trompé, et qu’en réalité, en passant par-là, il allait rallonger son parcours, il n’était pas pressé.» Ce choix permet d’améliorer l’euphonie de la phrase (en évitant l’enchaînement «réalité rallonger»), même s’il entraîne un certain ralentissement de son rythme, dû à l’ajout de virgules qui n’étaient pas présentes en italien. Ce dernier me semble toutefois minime, car il n’entre pas en contradiction avec l’information principale livrée par le narrateur: Bernardo n’est pas pressé.
Trouver le bon rythme, le ton juste, le mot adéquat relève parfois d’un exercice d’équilibriste. C’est précisément ce qui rend la pratique de la traduction si stimulante. Et j’espère que les lecteurs du Courrier éprouveront autant de plaisir à découvrir cet extrait que j’en ai eu à le traduire.
Sophie Palmerini