Une initiative peu pragmatique
Nous avons appris que le président argovien du PLR, Thierry Burkart, veut faire sauter la déclaration de non-réexportation des armements et munitions pour les pays ayant des valeurs identiques et un régime de contrôle des exportations comparable à celui de la Suisse, car dans le cas de l’Ukraine, le droit de la neutralité interdit à Berne de donner son feu vert. Sa motion a été refusée par le Conseil des Etats après de longs débats le 6 mars.
Sa proposition pose effectivement problème, car rien n’est prévu pour les organisations se battant militairement contre des dictatures… Pire, cette initiative n’est pas pragmatique, puisqu’elle arrivera trop tard pour les soldats ukrainiens…
Il faut comprendre que 14 000 emplois de l’industrie de l’armement en Suisse «seraient menacés» (chiffre comprenant l’impact de l’industrie de l’armement auprès des entreprises hors du secteur), pour des exportations de matériel de guerre de 742,8 millions de francs en 2021 (chiffres du Seco). Cela reste à prouver puisque sur 67 pays acheteurs, une partie ne fait pas partie du bloc occidental…
De plus, sur 89 manufactures qui produisent du matériel de guerre censé être utilisé dans le cadre d’une action de combat, 59 fabriquent des biens militaires qui ne sont pas utilisés au combat, dont une partie est aux mains de groupes étrangers. Bref, il s’agit de défendre en partie des intérêts étrangers…
Mieux! Dans son raisonnement il n’est pas tenu compte du fort risque que fait courir la perte de la neutralité pour la Suisse et sa diplomatie qui a un impact positif pour l’économie romande, en particulier pour Genève! Aucun bilan comparatif!
Souhaite-t-il que Genève ne serve plus les intérêts de la Suisse comme instrument et plateforme pour la promotion de ses valeurs principales, la paix et la sécurité humaine?
Sait-il que près de 34 000 personnes travaillent dans la Genève internationale, dans 42 organisations internationales dans le bassin lémanique, 179 Etats et environ 750 organisations non gouvernementales (ONG); dont dépendent l’hôtellerie, la restauration et la vente de détail (6300 établissements, pour plus de 35 000 emplois)?
A-t-il conscience que les sommes dépensées ou investies par les agences internationales à Genève en 2018 ont atteint 6,3 milliards de francs (plus de la moitié de cette somme – principalement des salaires et des prestations d’assurance et de pension – a été dépensée ou investie en Suisse), et que cela représente 11,3% du produit intérieur brut (PIB) du canton de Genève?
En conclusion, ce projet doit être impérativement oublié au nom des valeurs d’un libéralisme soucieux de ne pas faire courir des risques à l’économie, sachant que la concurrence est rude entre des villes d’autres pays qui aimeraient bien récupérer une tranche du gâteau genevois!
Séverin Brocher, Genève