Sur une brochure d’Uniterre (1/2)
La terre à celleux qui la cultivent1>La brochure peut-être commandée auprès d’Uniterre (b.darras@uniterre.ch) ou téléchargée ici: https://uniterre.ch/fr/la-terre-a-celles-et-ceux-qui-la-cultivent-une-urgence-pour-lavenir-de-nos-systemes-alimentaires, tel est le titre d’une publication récente de l’organisation paysanne suisse Uniterre consacrée à «l’accès collectif à la terre en Suisse». Sur la base de plusieurs expériences tentées dès le début des années 2000, il s’agissait de revenir sur les difficultés rencontrées pour accéder au foncier agricole en dehors du cadre familial, c’est-à-dire sans être issu d’une famille paysanne possédant une ferme et des terrains.
Or, comme on s’en rend compte à la lecture du sommaire de La terre à celleux qui la cultivent, les difficultés sont nombreuses. Le cadre légal (dont l’examen occupe le chapitre 2) est tourné vers la perpétuation et l’agrandissement de fermes familiales. L’idée même d’une déconcentration du foncier et des moyens de production est totalement étrangère au droit suisse, alors qu’elle est présente – avec certes un succès limité – dans le droit français depuis les années 1970. La brochure d’Uniterre s’emploie donc tout d’abord à expliciter la terminologie juridique, souvent opaque et rebutante. Elle met en évidence des «règles qui ne favorisent pas la reprise de ferme». Le travail, ici, est indissociablement juridique et politique, car l’exposé des règles de droit montre à quel point le cadre de la transmission du foncier et des moyens de production n’est pas à la hauteur des défis agro-écologiques de notre temps.
Le chapitre 3 aborde la question du financement d’un projet d’installation agricole. Ici encore, même si cela ressort moins nettement du texte, l’exposé technique rejoint les questions politiques. Qui est reconnu comme agricultrice ou agriculteur au sens des dispositions sur les paiements directs ou les aides à l’installation? Des critères de reconnaissance de la capacité se mêlent à des critères de taille d’exploitation et peuvent rendre délicat le démarrage d’une activité dans le contexte d’un accès très restreint au foncier. L’expression selon laquelle on ne prête qu’aux riches semble ici trouver un domaine d’application particulier. C’est pourquoi la brochure évoque également des pistes de financements alternatives aux aides fédérales.
Un court chapitre 4 examine les questions liées à la distribution de la production, questions qui ne diffèrent guère selon que l’on s’installe ou non dans un contexte familial, ce qui justifie la brièveté de cette partie.
Ces trois chapitres centraux sont encadrés par deux parties (1 et 5) qui constituent en réalité la grande spécificité de la publication. Il s’agit en effet de développer la question de «l’accès collectif à la terre» qui apparaît dans le sous-titre de la brochure. Qu’entend-on au juste par collectif? S’agit-il d’une volonté de collectivisation des terres, hantise des grands propriétaires terriens en périodes de révolutions? L’ambition est, dans l’immédiat, plus modeste, mais pas moins intéressante. «Accès collectif» signifie ici pratiquer l’agriculture à plusieurs sans être nécessairement liés par des rapports familiaux.
La tentative pionnière des Jardins de Cocagne à Genève a jeté les bases, dès 1978, d’une vision très nouvelle de l’organisation du travail agricole en constituant une coopérative dont les consommatrices et consommateurs possèdent le capital social et les paysannes et paysans sont les salarié·es. Mais cette forme remarquable peine à se multiplier et dépend fortement du contexte urbain. En dehors des liens familiaux et des inégalités traditionnelles qu’ils justifient, comment se partager le travail et comment se répartir ses fruits? Comment, dans le cadre soumis aux besoins du capitalisme, envisager le travail agricole et sa rétribution sur les bases équitables et durables qui conviennent à un projet d’agriculture paysanne? Telles sont les questions auxquelles les autrices et les auteurs de la brochure essaient de répondre en proposant plutôt des listes de possibilités que des visions dogmatiques.
Cette publication constitue une tentative très réussie d’ouvrir un très large spectre de problématiques et d’y apporter des réponses provisoires. Elle montre aussi, en creux, que pour sortir du provisoire, il manque en Suisse un véritable pluralisme dans les organisations professionnelles agricoles. Je reviendrai sur ce dernier aspect le mois prochain.
Notes
Frédéric Deshusses est un observateur du monde agricole. Rendez-vous le 23 mars pour la seconde partie de la chronique.