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Terres rares

Léon Meynet se demande s’il faut accepter tout développement au nom de l’indépendance énergétique.
Environnement

A l’heure du grand rendez-vous de 2035 pour un parc automobile européen 100% électrifié, jamais les métaux indispensables à la fabrication des batteries n’ont été aussi convoités. Le lithium en particulier qui n’a pas lieu d’être «courant» sous nos cieux et dans nos terres. Or, comme le monde va mal et que son pouvoir est en cours de décentrement, c’est la course à l’échalote pour trouver à tout prix le précieux Graal au nom de l’indépendance énergétique.

A cette fin, toutes les perspectives d’exploitation sont permises, quand bien même elles déstabilisent l’équilibre de régions entières et en menacent durablement et irréversiblement les nappes phréatiques. Le paradoxe de cette recherche désespérée au nom de la transition énergétique à l’horizon 2050 est d’une part que les pouvoirs sont prêts à ne pas reculer pour éventrer terres et montagnes, parcs naturels sous protection de l’Unesco ou pas; et d’autre part qu’ils ne s’embarrassent pas pour faire appel aux pires sociétés d’exploitation minière australiennes.

Pour mémoire, rappelons que ce pays a la triste réputation d’abriter les premiers spéculateurs sur la valeur de l’H2O. Parmi elles, la trop célèbre Rio Tinto qui sévit sans scrupule à travers le monde et plus connue pour avoir peut-être contribué à empêcher le numéro 1 du tennis mondial, Novak Djokovic d’obtenir son visa sanitaire pour disputer l’Open d’Australie en 2022. Rappelez-vous du sketch il y a un an: rétention, sortie de rétention, retour à la rétention et enfin expulsion du pays. Le sportif serbe de haut niveau, non vacciné, avait eu l’audace d’être parmi les citoyen·nes qui s’opposaient, en postant un message de soutien dans sa story sur Instagram le 12 décembre 2021, à l’exploitation d’une prometteuse mine de lithium dans la vallée de Lozenica. Ils/elles l’ont par ailleurs fait avec succès.

Il y a eu ce cas, mais maintenant il y en a de nombreux autres en Europe, comme celui de l’Estramadure en Espagne (voir Le Courrier du 16 décembre). Là aussi, même scénario, même colossal investissement, mêmes promesses creuses, mêmes complicités régionales, mêmes garanties sans fondement, même corruption passive d’un autre partenaire australien appelé Infinity Lithium. Dans cette région pauvre et archaïque, la population est divisée, car il y a celles et ceux qui veulent préserver les cultures locales ancestrales (amandiers, oliviers, chênes liège) et celles et ceux qui sont séduits par un développement potentiel susceptible d’enrayer la désertion de leurs jeunes des villes et villages.

Parce que le nœud gordien de la question est là: est-ce qu’au nom de l’enracinement et du développement de la sédentarisation locale faut-il accepter de tout foutre en l’air sans principe, sans foi, ni loi? Le oui est tentant lorsqu’il est assorti de la promesse de l’implantation d’une usine avec 700 emplois à la clef, du mirifique sponsoring de l’équipe de basket-ball ou de la formation gratuite des jeunes adultes à la production de batteries… Quel que soit le mobile, quel que soit le pays, le dilemme sera toujours là: faut-il extraire à tout prix et dans n’importe quelle circonstance au nom de la transition énergétique et de la neutralité carbone? Faut-il accepter tout développement aussi aveugle, sauvage, malhonnête soit-il au nom de l’indépendance énergétique?

La réponse va de soit, c’est évidemment non. Dès lors, il nous appartient d’organiser toutes les résistances possibles au plus haut niveau, de remettre en question le dogme aveugle et trompeur du tout électrique, de redéfinir des règles de gestion élémentaire des terres et des modes de consommation car ce n’est pas l’exemple d’un championnat du monde de football au Qatar ou des futurs Jeux olympiques panasiatiques en Arabie saoudite qui nous feront prendre conscience de notre devoir, de notre morale d’humain pour que cette terre reste vivable, pour que nous apprenions à recréer une solidarité pour sauver le vivant. Et là, il y a un énorme chantier à ouvrir en commençant par sortir de l’oppression et du conditionnement mortel et irresponsable des nouvelles technologies. Seul, notre sursaut solidaire et éclairé sera la garantie de la sauvegarde de la planète!

Léon Meynet,
Chêne-Bougeries (GE)

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