«La haine des femmes»
Depuis quelques mois, nous recevons de bien mauvaises nouvelles concernant les femmes. Après la réforme de l’AVS qui se fait sur le dos des femmes en Suisse, la France en prépare une qui leur serait aussi défavorable. Le 24 juin 2022, la Cour suprême des Etats-Unis a révoqué le droit à l’avortement. En Iran, le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, 22 ans, a été arrêtée à Téhéran par la police des mœurs parce qu’elle avait mal mis son hijab et est décédée peu après, ce qui a mis le feu aux poudres dans tout le pays.
En Afghanistan, malgré leurs promesses d’août 2021, quand ils ont repris le pouvoir après la débandade des Etasuniens, les talibans ont interdit aux filles l’accès aux écoles puis à l’université et finalement interdit aux femmes de travailler dans les ONG. Or, elles sont indispensables pour soigner les femmes, puisque les sexes sont séparés. Cette décision n’est pas seulement dramatique pour celles qu’on prive de travail (certaines sont veuves et n’auront plus de revenus) mais pour toutes celles qui resteront sans soins.
Comme chaque année, les pays ont dénombré leurs féminicides 2022. Plus de 100 en France, 16 en Suisse, de 22 à 86 ans. Aucun pays n’est épargné. Pour l’historienne Christelle Taraud, il n’est pas possible de lutter contre les violences faites aux femmes sans comprendre le système d’écrasement très ancien qui produit les meurtriers, les agresseurs et les victimes
Le dénominateur commun de ces événements est la haine des femmes, «la haine du c…», écrit Benoîte Groult dans Ainsi soit-elle (1975). Comme les femmes détiennent le pouvoir extraordinaire de donner la vie, on veut les y confiner. De tout temps, les sociétés ne supportent pas qu’en plus, elles se libèrent par l’éducation et le travail. Elles doivent dépendre des hommes (pères, puis maris) et leur obéir. Ainsi, les hommes du système patriarcal peuvent se sentir forts et importants.
Rappelons quelques dates. Le Collège Calvin, fondé par le réformateur en 1559, n’était destiné qu’aux garçons. Les filles n’auront accès à l’éducation qu’à partir de 1874, quand l’école fut obligatoire. Elles n’eurent droit à l’université qu’au début du XXe siècle. Avant la création du Cycle d’orientation (1962), les filles n’avaient accès pas accès aux sections classique, avec grec, et scientifique. Il existait une «école ménagère » destinée aux filles qui ne choisissaient pas les études. Le droit de vote fut accordé aux femmes en 1960 dans les cantons de Genève, Neuchâtel, Vaud et sur le plan fédéral en 1971, seulement.
Selon l’Unicef, 32 millions de filles ne sont pas scolarisées à travers le monde. Dans certains pays d’Afrique subsaharienne ou d’Asie, plus de la moitié des filles n’achèvent pas le cycle d’enseignement primaire. La privation d’instruction rend les filles et les femmes vulnérables à la maladie, notamment au sida, à la pauvreté, aux mariages forcés, aux grossesses précoces, aux violences sexuelles.
Partout dans le monde, les femmes gagnent moins que les hommes, comme si leur travail était moins important, voire indu. Elles sont sous-représentées dans les instances politiques, économiques, là où se prennent les décisions. Les tâches ménagères, éducatives, les soins aux personnes âgées reposent à 80% sur elles, rendant difficile la conciliation avec la vie professionnelle, l’engagement politique, les postes à responsabilités. Sur les réseaux sociaux, on constate un déferlement de propos misogynes contre les femmes en vue.
Dans l’inconscient collectif, les femmes sont des matrices. Les sociétés peinent encore à leur reconnaître une autre place, à les laisser passer de l’intérieur à l’extérieur. Le réflexe de peur que les femmes empiètent sur le territoire des hommes se réveille à la moindre menace, déclenche le rejet, la haine, les solutions définitives. Simone de Beauvoir avertissait que les progrès n’étaient jamais acquis. Il faut en effet lutter, encore et toujours, pour que les femmes aient des droits égaux à ceux des hommes, non seulement dans les textes de loi, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays, mais dans les faits.