Édito

Privatisation: un oreiller de paresse

Maltraitances au foyer de Mancy
JPDS
Genève

Les trois foyers genevois pour enfants et adolescent·es atteint·es d’autisme ou en proie à de grands problèmes comportementaux et émotionnels, dont celui de Mancy qui a défrayé la chronique, seront transférés d’ici 2024 à des entités privées subventionnées. La décision, qui date d’une année, a été confirmée mardi par Anne Emery-Torracinta, magistrate chargée du Département de l’instruction publique (DIP). L’Etat doit se recentrer sur ses priorités, les foyers résidentiels ne sont pas la mission première du DIP, a expliqué l’élue socialiste.

Une affirmation des plus contestables. Pour plusieurs raisons d’ordre politique, institutionnel et syndical. Politiquement, tout d’abord, le message n’est pas des plus heureux. L’Etat a dysfonctionné et a failli dans son rôle de surveillance. La réponse consistant à déléguer au privé est un aveu de faiblesse, un oreiller de paresse. Cela revient à dire, sans fondement aucun, que le privé fera mieux. Un peu maladroit de la part d’une magistrate issue des rangs de gauche.

Institutionnellement, ensuite, on ne voit pas en quoi une telle délégation pourra assurer une meilleure prise en charge d’usager·ères en situation d’extrême fragilité. L’Etat exercera certes une surveillance sur les fondations à qui ces tâches seront confiées. Mais avec une réactivité et un contrôle moindre. On peine à distinguer la rationalité de la décision.

Une telle privatisation – osons le gros mot – d’une mission que l’on peut considérer comme prioritaire, est de mauvais aloi. Qui nous dit que la prise en charge sera ensuite décidée selon des critères d’équité sociale, et que tel ou tel gros donateur·trice ne bénéficierait pas d’un coup de pouce?

Une des causes des problèmes rencontrés notamment à Mancy réside dans un manque de moyens. En quoi l’externalisation constitue-t-elle une réponse adéquate à ce constat? Au contraire. On peut s’inquiéter des conséquences sur le personnel qui, s’il veut rester en place, perdra son statut de fonctionnaire. En janvier, les syndicats dénonçaient le risque d’un vide conventionnel dans le domaine des organismes d’éducation  d’enseignement et de réinsertion. Outre le risque d’un dumping salarial – faire plus avec moins –, cela pourrait aussi décourager d’éventuels lanceurs ou lanceuses d’alerte.

C’est peindre le diable sur la muraille, nous rétorquera-t-on. Peut-être. Mais ces dernières années, les Cassandre face aux privatisations ont eu raison plus souvent qu’à leur tour. Songeons à la Poste, qui peine à assumer certaines de ses missions, ou au marché de l’électricité, où la libéralisation a fait tant de dégâts et où, à heure des choix liés à la transition énergétique et de la pénurie liée au conflit en Ukraine, les collectivités publiques et les usager·ères se retrouvent privé·es de leviers d’action.

Opinions Édito Philippe Bach Genève

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