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«Les poches de maisonnettes et leurs jardins sont notre Ventolin»

Secrétaire de l’association SOS Patrimoine CEG (Contre l’enlaidissement de Genève), Leïla el-Wakil s’oppose au Plan localisé de quartier Bourgogne. Attaqué par référendum, ce projet d’aménagement fait l’objet d’une votation en Ville de Genève le 12 mars prochain.
Genève

A l’heure du changement climatique et de la transition énergétique, le monde politique peut-il en toute légalité étouffer sa population? Le bâillon s’appelle densification et on le serre bien fort sur la gueule des citoyen·nes et des citadin·es de sorte qu’ils ne puissent plus ni l’ouvrir, ni respirer, faute d’air. Combien de quartiers autrefois riants sont-ils devenus oppressants depuis l’adoption en 2013 du Plan directeur cantonal 2030? Les buildings au raz du trottoir ont sacrifié pelouses et arbres et parfois des forêts entières comme aux Allières. Les surélévations ont jeté dans l’ombre et rendues inhospitalières des rues autrefois passantes, devenues étroits corridors. Des quidams prisonniers des îlots d’asphalte guettent grâce à leur smartphone et à la 5G l’arrivée du bus salvateur qui les emmènera jusqu’au prochain refuge de bitume et son abribus. Est-ce cela qu’il est souhaitable de généraliser à Genève, une ville rébarbative?

Le discours officiel vante le Plan localisé de quartier «Bourgogne» (PLQ 30049) comme un beau quartier urbain à venir et son parc, en vérité une étroite bande colorée en vert sur le projet, où pousseront, nous assure-t-on, de grands arbres à l’ombre des immeubles de six étages. Comment porter crédit à ces hypothétiques scénarios d’un futur meilleur? Comment de même répondre au discrédit jeté sur l’existant? Qu’y a-t-il donc à sauver dans l’actuel quartier de Bourgogne, un quartier de maisonnettes et de jardinets où les apôtres de la densification et du Grand Genève ne voient que quantité et qualité négligeables? Ceux-là, dont le cerveau est lessivé par les afficionados d’Holcim et les injonctions normatives, ont oublié l’essentiel qui est l’importance de l’espace vide dans l’articulation urbaine, ce vide dans lequel s’égaient les oiseaux, bourdonnent les insectes et s’envole notre imaginaire.

Ce quartier de Bourgogne, tel qu’il se présente aujourd’hui, un peu décati, un peu en sursis, est un concentré de vivant à l’état pur, avec son je ne sais quoi d’aléatoire, de désobéissant, de hors normes et de non castré. Une vie humble qui rassemble l’humanité et les animaux des vieux jardins, ainsi que leurs plantes, tout un foisonnement fichtrement vivant de choses et d’êtres simples qu’éradiqueront sans discernement les mètres cubes de béton du PLQ 30049 et leurs immeubles à redents.

Sachons dire non au PLQ Bourgogne, comme nous avons dit non au PLQ Jean-Jaques Rigaud en 2018, non au déclassement du Petit-Saconnex en 2019, au déclassement du Pré-du-Stand au Grand-Saconnex en 2019, aux deux déclassements de Cointrin Est et Ouest en 2020, etc., et pour les mêmes raisons! Pour remettre en question une très questionnable zone de développement décidée au milieu des Trente Glorieuses, lesquelles misaient tout sur la modernité et le soi-disant progrès. Pour défendre, au-delà d’une vision désuète et rétrécie du patrimoine propagée par une très discutable direction du même nom, l’honneur urbain d’une ville qui puisse se projeter dans le troisième millénaire sans tomber systématiquement dans le piège tendu des grands travaux d’un autre âge.

L’urbanisme du bouchage des trous ou des «dents creuses», dopé par le monde de la finance, n’est en aucun cas une solution d’avenir, pas plus que ne l’est la ville compacte ou ces vues de l’esprit que sont la «ville des 15 minutes» ou «des 2 kilomètres». Il faut se battre jusqu’au dernier souffle pour que survivent en ville et sur l’entier de l’exigu territoire cantonal des poches de maisonnettes et leurs jardins qui sont notre Ventolin, et surtout celui des générations futures.

* Professeure en histoire de l’architecture.

Opinions Agora Leïla el-Wakil Genève

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