«Pas de salaire, pas de stagiaire!»
Confronté·es à la violente réalité sociale d’un fort taux de chômage chez les jeunes et plongé·es dans une incertitude générale quant à notre avenir, nous acceptons par non-réaction le discours libéral du capital humain. Au vu de l’augmentation spectaculaire de la précarité étudiante, il devient urgent de réorganiser le mouvement étudiant et revendiquer de nouveaux droits sociaux, à commencer par un salaire au moment de nos stages.
Dépasser les paradigmes dominants
Si vous désirez politiser la dure condition de l’étudiant·e, vous serez confronté·e à deux paradigmes dont le dépassement ne sera que du temps gagné. D’une part la théorie grandement répandue du capital humain vous fera entendre que nos années d’étude ne seraient que pur investissement personnel jonché de mille et un sacrifices consentis dans le but de nous démarquer ensuite sur un marché du travail ultracompétitif. D’autre part, vous seriez tenté·e d’approuver l’axiome naïf (et bourgeois) de l’enseignement supérieur comme parfait outil d’émancipation qui permet de se réaliser à travers ses passions intellectuelles.
Parce que les combats politiques menés dans les milieux universitaires de ces dernières décennies ont le plus souvent été défensifs contre une marchandisation du savoir (entreprises sur le campus, hausse des taxes d’étude, ma thèse en 180 secondes, etc.), nous nous sommes fait·es à l’idée que l’université serait notre zone à défendre contre un extérieur néolibéral.
D’après les deux visions précédemment présentées, nous ne serions que bénéficiaires des services du corps professoral: notre statut d’étudiant·e nous permettrait au mieux de pouvoir être consulté·e sporadiquement. Au contraire, parce que nous fournissons un travail (et créons de la valeur), nous pouvons aspirer à ne pas juste être qu’un rouage interchangeable de nos cursus.
Eduqué·es à survivre
L’absence de représentant·es de classes sociales inférieures dans l’enseignement supérieur est toujours aussi préoccupante. Même passé cette première barrière de l’accès, il s’agit ensuite de réussir son parcours académique. Ce qui est facile à dire avec une stabilité financière relève d’un défi quand les sous manquent. Beaucoup n’ont d’autres choix que de «jober» en parallèle, au risque de louper des cours, d’aller en rattrapage ou de rallonger leurs années d’études. Malgré cela, l’indépendance réelle n’est jamais atteinte. Ainsi, des relations de dépendance se dessinent face à la famille, à un·e conjoint·e, ou à la banque, qui peuvent facilement devenir nocives. La situation ne va pas en s’améliorant. A Bruxelles (où j’étudie et milite), les loyers ont doublé en l’espace d’une décennie, le pourcentage de l’inflation sur certains biens de première nécessité compte désormais deux chiffres et la précarité énergétique est devenue un style de vie à la mode pour automne-hiver 2022.
Dans cette chienlit générale, les stages universitaires semblent être devenus un impératif. Pour en trouver un, c’est déjà la guerre. Pour qu’il soit rémunéré, n’en parlons même pas. En 2017, l’Union syndicale étudiante (USE) avait mené une enquête auprès de plus de quatre cents étudiant·es stagiaires de Bruxelles et avait découvert que 30% des répondant·es enchaînaient stages, études, et petits jobs, mais surtout, que les stages rémunérés étaient particulièrement rares dans les secteurs dans lesquels les femmes sont surreprésentées, comme la santé. Dans le classement de ce qui ne va pas dans l’enseignement supérieur, cet état de fait peut revendiquer la première place. Pour ces raisons, l’USE et les jeunes FGTB (Fédération générale du travail de Belgique, soit le syndicat socialiste du pays), lancent une grande campagne pour que les stages soient enfin rémunérés, en espérant ainsi instiguer un débat sur le salaire étudiant, voire sur le salaire à vie.
Un salaire pour chaque stagiaire
Concrètement, cela consiste à revendiquer un salaire minimum pour tou·tes les stagiaires qui serait soumis à cotisations sociales et assurerait des droits syndicaux encore inexistants. Cette mesure centrale demanderait parallèlement un refinancement des services publics qui utilisent actuellement les stagiaires comme variables d’ajustement à des déficits structurels.
Avec l’USE, nous ne nous faisons pas d’illusion: sitôt remis au gouvernement, ce cahier de revendications sera ignoré. Par précaution, nous avons commencé à regrouper les forces en vue de l’instauration d’un rapport de force en 2023. Au Québec, des mouvements de grève des stages ont déjà vu le jour ces dernières années1>Cf. C. Danesi, «Grève des stages, grève des femmes», Pdg n° 184.. Dans ce sillage, des grèves de cet acabit sont à généraliser à Bruxelles, en Wallonie, en Belgique et partout ailleurs avec un même slogan: «Pas de salaire, pas de stagiaires!»
Notes
Paru dans Pages de gauche n° 186, Hiver 2022-23, pagesdegauche.ch
En savoir plus: use.be/pas-de-salaire-pas-de-stagiaires