Agora

Le drapeau Vietcong sur Notre-Dame de Paris

Trois activistes vaudois opposés à la guerre du Vietnam déployaient le drapeau vietcong sur la flèche de Notre-Dame de Paris, dans la nuit du 18 au 19 janvier 1969. Au bout de cinq décennies d’anonymat, les auteurs de ce coup d’éclat l’ont mis en livre en reliant l’action à son contexte. Récit par l’un des protagonistes.
Vietnam

Il y a un demi-siècle, Noé du POP, «Bacchus» des Jeunesses socialistes et «Olaf», chrétien tiers-mondiste, qui allaient six mois plus tard rejoindre la Ligue marxiste révolutionnaire, se mirent en tête de couronner Notre-Dame de Paris de la bannière du Front national de libération (FNL) du Sud-Vietnam (le «Vietcong»), à l’ouverture des négociations quadripartites de Paris sur le Vietnam, en janvier 1969. Que visions-nous par cet acte qui le distinguerait d’une simple anecdote spectaculaire? La reconnaissance du FNL certes, mais aussi la marginalisation politique du pouvoir répressif et servile de Saïgon: le régime «fantoche» accusa le FNL d’avoir commandité une «profanation» de Notre-Dame; il fut débouté par l’évêque lui-même, qui démentit le lendemain – l’édifice appartient à la France et seul l’intérieur est sacré.

L’acte déclarait son sens par lui-même, indépendamment de qui l’avait commis. Le déclencheur pour livrer cette histoire fut l’incendie de Notre-Dame en avril 2019. La chute vertigineuse de la flèche en feu nous rappela pourquoi nous l’avions escaladée. Pas facile aujourd’hui de dire pour quoi, question qui tient dans un titre intelligemment provocateur de The Economist du 28 avril 2005: «Vietnam: America lost, capitalism won» [l’Amérique a perdu, le capitalisme a gagné]. Autre incitation à raconter: quelques jours après l’incendie de 2019, Nhân Dân l’organe officiel du Parti communiste vietnamien, affirma que la présence de la bannière du FNL au sommet de Notre-Dame devait figurer parmi les événements majeurs vécus par l’édifice dans son histoire pluriséculaire. Loin de nous était cette idée, mais elle est pertinente dans la mesure où ce patrimoine mondial de l’Unesco fut porteur d’un symbole de résistance universelle à la domination coloniale et impérialiste à un moment clé de l’histoire.

Une caractéristique des stigmates durables de la guerre du Vietnam, la plus meurtrière depuis la Deuxième Guerre mondiale, est l’agent orange, puissant désherbant et défoliant chimique développé par Monsanto. 70 millions de litres furent dispersés sur les forêts et cultures du Sud-Vietnam. Il contient une forte concentration de «dioxine de Seveso» (50 fois plus élevée que dans le produit à destination agro-industrielle). La dioxine se lie fortement aux récepteurs intracellulaires, accédant au noyau des cellules où l’ADN est localisé. Aujourd’hui encore, au Vietnam, 6000 bébés naîtraient chaque année avec des malformations.

L’une des victimes fut Tran To Nga, agente de liaison du FNL. En 2014, elle a porté plainte contre Monsanto et 13 sociétés impliquées pour faire reconnaître la responsabilité de ces sociétés armées de bataillons d’avocats. Nous consacrons l’entièreté de nos droits d’auteurs au soutien à sa cause.
En 1986, onze ans après la victoire non partagée avec le FNL, le pays réunifié précipitamment se trouve au bord de la famine – l’ancien Premier ministre Pham van Dong dira «mener une guerre est simple, mais diriger un pays est difficile». A cette époque se situe la croisée des chemins, avec l’introduction d’une «économie de marché à orientation socialiste», le Dôi Moi (renouveau). En six ans, le Vietnam devient le 3e exportateur mondial de riz et s’ouvre largement au capital international avec ces problèmes inhérents: exploitation des matière premières exportées brutes, force de travail éduquée mais non qualifiée.

Ironiquement, l’adhésion en 2007 du Vietnam à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), institution éminemment capitaliste, posa problème car les critères liés aux droits du travail n’étaient pas satisfaits (avec un seul syndicat au niveau national, bien incapable de traiter tous les conflits, d’où des milliers de grèves sauvages). Les entrepreneurs peuvent adhérer au Parti communiste, tout comme les membres du parti s’investir dans une activité productive privée, avec une inhérente tendance au népotisme. La question de la croisée des chemins aujourd’hui peut se poser ainsi: la dérive de la composition sociologique du parti et de l’Etat tend-elle vers celle d’un nouveau dragon capitaliste à gouvernance despotique? Ou le peuple, objet de la «Constitution du peuple par le peuple et pour le peuple», peut-il encore en devenir le sujet? Le général Giap faisait un constat pessimiste de la situation, peu avant son décès en 2013.

Y aurait-il quelque chose à retenir de notre acte ultraminoritaire pour les problèmes et luttes d’aujourd’hui? Exemple précoce de désobéissance civile, il se distingue d’autres actions minoritaires contemporaines telles que pratiquées par la Rote Armee Fraktion (RAF) et les Brigades rouges en ce que sa nature, certes transgressive, ne mit en danger que ses auteurs, et qu’en satisfaisant la règle des trois unités, il fut l’expression singulière d’un vaste et long mouvement international de protestation et de solidarité.

* Bernard Bachelard, Noé Graff, Olivier Parriaux, Le Vietcong au sommet de Notre-Dame, Favre, 2023.

Opinions Agora Noé Graff Vietnam

Connexion