Édito

Inégalités révélatrices

Inégalités révélatrices
La fortune des 2755 milliardaires du monde a atteint un record historique pendant le Covid-19, tandis qu'à l'autre bout de l'échelle, la faim a bondi pour toucher près de 10% de la population mondiale. KEYSTONE/IMAGE D'ILLUSTRATION
WEF

Une élite survolant en jet privé les glaciers ramollis pour discuter entre soi de la «coopération dans un monde fracturé» au Forum économique de Davos (WEF). L’absurdité, ô combien représentative de notre époque, était mise en lumière lundi par le mouvement Debt for Climate à travers une action de protestation.

«Fracturé» est un euphémisme, tant la société actuelle s’approche de plus en plus d’un mélange, version individualiste, des deux fameuses dystopies d’Aldous Huxley et de George Orwell – Le meilleur des mondes et 1984. Là où la domination d’une toute petite minorité s’exerce autant grâce à une servitude volontaire – à travers le plaisir, les psychotropes et la montée de l’insignifiance – que par l’autoritarisme et la novlangue.

L’étude annuelle d’Oxfam sur les inégalités, publiée à point nommé au moment du WEF, illustre dans quelle folie – à travers le capitalisme – l’humanité s’est enfoncée: les dix premiers milliardaires de la planète possèdent désormais à eux seuls davantage que les 3,1 milliards d’individus les moins favorisés. L’ONG britannique observait en 2015 que 62 personnes détenaient davantage de ressources que la moitié de l’humanité, vidant ainsi la démocratie de son sens.

Depuis, la concentration s’est encore accélérée. La croissance de la fortune des plus riches a atteint un record historique: les 2755 milliardaires du monde ont vu leur patrimoine augmenter davantage pendant le Covid-19 que durant les quatorze années précédentes. A l’autre bout de l’échelle, la faim a bondi depuis 2015, jusqu’à toucher près de 10% de la population mondiale, soit 828 millions de personnes.

Pas de coïncidence, nous dit Oxfam: «Ceci n’est pas le fruit du hasard, mais de décisions politiques délibérées: une ‘violence économique’ s’opère lorsque les choix de politiques structurelles sont faits pour les personnes les plus riches et les plus puissantes.» L’inégalité qui en résulte contribue au bas mot à la mort de 21’300 personnes chaque jour.

Mais l’ONG pourrait, si elle ne craignait d’être ostracisée, faire un pas supplémentaire. En rappelant que la source de la valeur économique réside dans le travail – Smith et Ricardo l’avaient montré avant Marx – et, partant, que les richesses accumulées par quelques-uns ne viennent pas tant de la «bonne marche des affaires» ou de brillantes initiatives individuelles que de l’exploitation du labeur humain. Si le compromis fordiste du partage d’une partie de la valeur ajoutée entre les détenteurs de capitaux et les travailleurs et les droits sociaux qui l’accompagnaient ont permis des progrès sans précédent pendant quarante ans, ce pacte a été rompu par les premiers au début des années 1980. Au point que la mortalité infantile s’accroît en France depuis 2010, par exemple.

Si, prenant appui sur la mondialisation, les possédants ne veulent plus transiger, est-il encore réaliste d’attendre des Etats qu’ils les ramènent à la raison? Est-il vraiment plus utopique de viser à renverser la table et de créer une véritable démocratie économique, sociale et politique sans capitalistes? Face à la brutalité sociale actuelle, l’écocide en cours et l’ethnocide qui nous attend, penser la sortie du capitalisme devrait devenir plus facile qu’imaginer la fin du monde, et non l’inverse.

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