Vol ET836
Mince! La jolie Malgache du check-in m’a placé loin de mes amis plongeurs, place 25K, même pas contre un hublot… Et j’ai eu la flegme de demander à changer, vu qu’elle était souriante, gentille et débordée. Dans la salle d’attente retentissait une prière islamique incongrue. Un très grand barbu, tout en blanc, calotté comme un pape, chantait à pleine voix, indifférent à ceux qui l’entouraient: Italiens, Français et Russes en vacances, familles malgaches, filles en petits hauts et minijupes. Et puis un groupe de cinq enturbannés a rejoint le chanteur, qui s’est calmé.
En montant dans l’avion, j’avais un mauvais feeling qui, toute superstition mise à part, se concrétisa quand je me suis retrouvé coincé entre le chanteur et un turban, avant d’avoir pu migrer vers une autre place. Dans la rangée d’en face, une mère malgache et ses enfants, derrière, le père, les quatre au look indonésien, sans doute des gens des hauts plateaux. Je décide de faire un voyage ethnographique. La conversation s’engage, malgré le peu d’anglais de mon encadrement.
Ils sont somaliens, le chanteur s’appelle Hussein et le turban Ali. Ali sort une petite fiole de parfum et en met une goutte sur le revers de la main de Hussein, puis m’en propose. J’accepte et remercie, regardant pour savoir ce qu’il convient d’en faire. Hussein n’en fait rien, Ali s’en passe sous les aisselles, sauf qu’il est en djellabah épaisse et que ça doit être plus symbolique que déodorant! Ça sent l’eau de Cologne de ma grand-mère. Je partage entre les dos de mes deux mains. La gauche, c’est peut-être haram, mais tant pis! Comme nous l’expliquait l’ami Mamoudou, les infidèles ont droit à l’erreur… La Malgache a chaud et enlève, peu discrètement, son soutien-gorge. Ça ne semble pas gêner mes voisins, qui se remettent à prier, lisant ou récitant le Coran, à voix haute pour Hussein, en chantonnant pour Ali.
L’heure des plateaux-repas arrive et apporte du matériel à mon enquête. Les plateaux sont attendus avec intérêt et impatience. Mes voisins demandent tous les deux du poulet mais, quand Hussein aperçoit mon bœuf avec du riz, après discussion, il demande à changer. Ce qui énerve l’hôtesse parce qu’il avait entamé le poulet. Arrivent alors les boissons. Sans surprise, ils prennent eau et coca. La Malgache, qu’ils semblent énerver, a pris deux bouteilles de vin: un rouge, un blanc. Comme on n’est pas chez eux, je prends du rouge, espérant juste que ce ne sont pas des chebabs. Pas mal de choses leur posent problème sur le plateau, à part le cure-dents, saisi et utilisé dès qu’aperçu.
J’entreprends de leur expliquer le fromage et le beurre. Après un silence, je passe à la démonstration en me faisant une sorte de mini hamburger de la pseudo-Vache qui rit, entre deux crackers. La manœuvre suscite un intérêt inattendu. Après, j’ai réussi à faire rigoler Ali en m’en mettant plein les doigts – un peu exprès – quand le cracker a cracké! Mais voilà qu’avec précaution, il prépare le même mini sandwich… et l’offre à Hussein. Ce dernier se régale et m’adresse un grand pouce souriant. Là, je suggère que c’est encore mieux … avec un coup de rouge par-dessus, regrettant qu’ils ne puissent pas suivre, mais n’allant pas jusqu’à leur en proposer.
Après le thé pendant lequel, sur interrogation, je réponds qu’il vaut mieux ne pas mettre dedans le creamer artificiel dégueulasse, ils se mettent à jouer au jeu du Coran: Ali a le texte sous les yeux, donne le titre du verset à Hussein, qui le récite par cœur, sans bavure! C’est à ce moment-là que l’enturbanné en chef (Ali confirme que c’est le patron) vint convoquer ses disciples. Du coup, Ali m’encourage à m’emparer de son hublot que je convoitais.
Les compères repasseront discrètement en robes de prière pour se rassembler, mais où? Comment trouver la Mecque… dans un avion? Ça me rappelle une prière au coucher du soleil sur le pont d’un bateau turc, dans le canal de Corinthe, où les fidèles réajustaient leurs tapis de prière à chacun des nombreux virages du paquebot…
* Chroniqueur énervant.