Sisyphe au féminin
Contre la Cour suprême américaine. Contre le parlement argentin. Contre le pouvoir polonais. Contre la guerre de Vladimir Poutine. La liste des manifestations publiques menées par des femmes contre les politiques étatiques menaçant notamment leurs droits semble interminable. Et la capacité de mobilisation de celles-ci inaltérable. Aperçu.
En Russie, où le féminisme grossit depuis des années en même temps que les atteintes aux droits humains, la guerre a fait naître un nouveau mouvement de résistance, le FAS (pour «résistance féministe anti-guerre»). Celui-ci a pris position dès le 27 février 2022: «En tant que citoyennes russes et féministes, nous condamnons cette guerre. Le féminisme, comme force politique, ne peut être du côté d’une guerre d’agression et d’une occupation militaire.» Ses militantes organisent «des opérations commandos comme celle qui a consisté à installer, de nuit, 2000 mémoriaux en Russie en hommage aux morts de Marioupol, la cité martyre ukrainienne», raconte Le Monde. Elles distribuent sous le manteau la Genska Pravda («La vérité des femmes») afin de «briser le blocus de l’information» et depuis l’appel à mobilisation lancé par Vladimir Poutine fin septembre, elles s’organisent contre l’envoi des hommes sur le front, notamment en créant une base de données des numéros liés aux bureaux d’enrôlement militaire, de sorte que le numéro puisse être rapidement rejeté. Si les autorités russes ne les ont d’abord pas perçues comme un mouvement politique «dangereux», elles sont aujourd’hui plus de 200 militantes à être l’objet de poursuites.
Le devant de la scène
En Grèce, le mouvement féministe s’oppose à la Nouvelle démocratie du gouvernement Mitsotakis, manifestant contre les féminicides ou les attaques contre le droit à l’avortement. «Les droits des femmes n’ont jamais autant occupé le devant de la scène politique de toute l’histoire du pays», observe l’activiste féministe Sonia Mitralia, sur le site de la revue de critique communiste Contretemps.Elle salue le renouveau d’un «mouvement féministe jeune, radical mais aussi unitaire, qui occupe déjà les avants-postes des luttes populaires contre la Sainte-Alliance de la réaction néolibérale et de l’obscurantisme nationaliste et orthodoxe», dans un pays «où la gauche se cherche».
Aux Etats-Unis, si les marches des femmes n’ont pas réussi à retourner la décision de la Cour suprême de révoquer le droit fédéral à l’avortement, en juin dernier, la Women’s March n’a perdu en rien de sa combativité, manifestée par exemple lors des énormes manifestations en réaction aux propos et aux comportements sexistes de l’ancien président des Etats-Unis, Donald Trump, et à ses débordements suprémacistes ou racistes.
En Suisse aussi
Et en Suisse, quatre ans seulement après la grève féministe du 14 juin 2019, une nouvelle grande mobilisation est annoncée pour 2023, preuve de la vitalité des collectifs de la Grève qui se font une place dans les débats féministes avec un souci d’intersectionalité. «Toute une nouvelle génération se politise et se radicalise autour des enjeux associés à la lutte contre l’oppression des femmes, observent Pauline Delage, sociologue, et Fanny Gallot, historienne, dans Féminismes dans le monde: 23 récits d’une révolution planétaire, bien souvent en lien avec les luttes contre le racisme, pour la justice climatique et contre l’exploitation, la précarisation et la destruction des services publics.» Aspect remarquable de ce processus, son caractère «international, à travers une circulation permanente à la fois des pensées, des modes d’action, des revendications, des slogans, des débats, etc., du mouvement féministe».
Le site d’égalité médiatique Les nouvelles news compare ce travail à celui de Sisyphe, condamné à remonter sans fin au haut de la colline une pierre qui retombe inéluctablement. Et rappelle à son propos cette phrase – féminisée – de l’écrivain Albert Camus: «Mais à chaque retour Sisyphe devient ‘supérieur·e à son destin’.»