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Joyeux Noël, les pauvres. Croissez et multipliez

L’IMPOLIGRAPHE

Le Conseil national, qui en l’occurrence mérite pleinement, au propre et au figuré, son rôle de Chambre basse du parlement, a accepté mercredi dernier à deux voix de majorité (95 contre 93) une motion proposée par un sénateur obwaldien du Centre, Erich Ettlin, pour désarmer les salaires minimaux introduits dans cinq cantons suisses, dont Neuchâtel et Genève. Pour l’Obwaldien et ceux qui l’ont suivi – dont les cinq élu·es genevois·es de droite (Amaudruz, de Montmollin, Lüscher, Maître et Nidegger) s’asseyant lourdement sur le vote du peuple genevois, la démocratie directe et le fédéralisme –, les conventions collectives de travail de force obligatoire (CCT) devraient l’emporter sur les lois cantonales et donc sur les salaires minimums légaux acceptés par le peuple. Surtout si les salaires conventionnels sont plus bas, évidemment – le but de l’exercice étant bien de sous-payer les gens. Ce sont des centaines, voire un millier de francs de salaire que perdraient chaque mois à Genève les salariés les moins bien payés, qui sont surtout des salariées, d’ailleurs. Dans la coiffure, par exemple, le salaire minimum conventionnel est de presque 1000 francs plus bas que le salaire minimum légal. Et de 700 francs dans la restauration. Sont également concernés les secteurs du nettoyage, la boulangerie, les shops, et même certains secteurs de la construction. Soit des milliers de travailleuses et travailleurs (à Genève, 30 000 personnes sont concernées par le salaire minimum légal).

Mercredi, au Conseil national, même le conseiller fédéral UDC Guy Parmelin avait signalé que la motion Ettlin violait les compétences des cantons, rappelé que le Tribunal fédéral avait confirmé que le salaire minimum relevait de la politique sociale et donc de la compétence cantonale, qu’une convention collective est un accord privé soumis au droit privé, qu’elle n’a pas «la valeur d’une loi» et ne peut «contredire le droit impératif de la Confédération et des cantons» et enfin que le salaire minimum est «une mesure de lutte contre la pauvreté» prise pour éviter que des travailleurs et (surtout) des travailleuses se retrouvent working poors. Mais rien n’y a fait: le troupeau a meuglé à l’unisson le ranz des veaux du «partenariat social» tel que la droite patronale le conçoit: celui qui, donnant la primauté aux conventions sur les lois, permet de verser des salaires plus bas que le minimum légal. La souveraineté cantonale, le vote du peuple, l’urgence sociale? A deux voix près, la majorité de la «Chambre du peuple» les a remisés au magasin des accessoires. Au nom, comme le proclame le conseiller national genevois Vincent Maitre de «l’intérêt du ‘partenariat social et de Genève’». A ce niveau, le foutage de gueule tenait déjà de la pataphysique, mais l’inévitable Vincent Subilia, de la Chambre de commerce et d’industrie, en a encore rajouté une couche: il faut supprimer le salaire minimum pour «rendre au canton un élément de compétitivité perdu». C’est-à-dire une place dans le concours de dumping salarial. Evidemment, «c’est douloureux pour certains» (pas pour Subilia, inutile de lancer une opération caritative pour l’aider à finir le mois), mais pour les salariées et les salariés les moins bien payés, qui «font les frais d’une volonté ­populaire inapplicable». Inapplicable? Mais elle est appliquée, et c’est bien parce qu’elle l’est que le patronat et ses commis veulent la rendre ­inopérante.

Vendredi, l’édito d’Entreprise romande tirait bravement: «Sus aux escroqueries»… Comme celle qui consiste à s’attaquer au salaire minimum légal au nom du partenariat social? Non, ça, pour le patronat genevois (et les autres patronats de notre beau pays patronal), c’est pas une escroquerie, c’est un devoir: il faut autoriser les employeurs à payer le moins possible leurs salarié·es. Et si les salaires ne suffisent pas pour boucler les fins de mois, pour payer un loyer, les salarié·es n’ont qu’à solliciter une aide sociale. Après quoi, on entendra le même patronat dénoncer l’assistanat public «payé par les contribuables» et ses porteurs de valise parlementaires proclamer, comme le Nantermod de service, que «l’Etat social n’a fait que croître ces dernières années. Nous ne pouvons pas accepter cette politique qui fait primer les besoins sur les moyens».

«Cette motion est une véritable bêtise», a résumé le conseiller national et coprésident du PS Cédric Wermuth. Il est bien poli notre coprésident: à sa place on n’aurait pas parlé de «véritable bêtise», mais de «véritable saloperie»… Il y a ainsi, en période de crise, une production qui bénéficie du plein soutien des majorités parlementaires de droite: celle des working poors, de ces travailleuses et travailleurs travaillant à plein temps pour un salaire ne leur permettant pas de vivre décemment. Une production qui ne connaît pas la crise. Qui s’en nourrit, et la perpétue. Combien gagnent, au juste, celles et ceux qui considèrent que les salaires minimums légaux genevois et neuchâtelois de 24 ou 20 francs de l’heure sont excessifs?

Joyeux Noël, les pauvres. Croissez et multipliez.

 

Pascal Holenweg est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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