«Ils n’avaient pas vu de médecin depuis des mois»
Le village de Myrolyubivka a été occupé par l’armée russe dès la fin du mois de février, quelques jours après le début de l’invasion, jusqu’au 11 novembre, date à laquelle il a été repris par l’armée ukrainienne. Nous avons d’abord décidé de nous rendre dans ce village avec une équipe réduite pour évaluer les conditions sécuritaires et pour voir ce dont les habitant·es avaient besoin. Il était en effet très difficile d’avoir des informations depuis notre base qui se situe à Mikolaïv, car tous les réseaux de cette localité ont été détruits: le téléphone et Internet, mais aussi l’eau et l’électricité. Les habitants de la région de Kherson sont quasiment tous dans la même situation.
Pour cette première visite, qui a eu lieu le 26 novembre, nous nous sommes présentés aux membres du conseil municipal et leur avons expliqué ce que nous pouvions faire. On s’est rapidement aperçu qu’il n’y avait aucun personnel médical et que le médecin était parti il y a longtemps. Pendant plus de huit mois, les quelque 700 habitant·es du village ont eu un accès aux soins de santé très restreint.
Une volontaire avait repris, comme elle le pouvait, la gestion de la petite structure de santé locale. Elle donnait des médicaments aux habitant·es en fonction des prescriptions que le médecin avait faites avant de partir. Elle a réussi à tenir toute seule pendant tout ce temps, ce qui est assez impressionnant, mais les habitant·es n’avaient pas vu de médecin depuis des mois. Nous avons donc rapidement organisé une clinique mobile, et c’est elle qui a prévenu et rassemblé les habitant·es pour la venue de notre équipe médicale.
Lorsque nous sommes revenus deux jours plus tard avec un médecin, une infirmière et une psychologue, une trentaine de personnes nous attendaient. La plupart des patient·es souffraient de maladies chroniques, comme l’hypertension ou le diabète par exemple. Il n’y a pas d’ambulance à Myrolyubivka, le système de transfert est défaillant. En cas d’urgence, les habitant·es doivent se débrouiller par eux-mêmes pour trouver une voiture et se rendre à Kherson, ce qui est compliqué, à cause des bombardements répétés sur la ville.
Notre psychologue a également réalisé des consultations, principalement pour des traumatismes liés au conflit. Les habitant·es ont subi des bombardements, certain·es ont perdu un proche. Nous avons reçu deux enfants qui avaient passé huit mois dans une cave. Les habitant·es nous racontent également la manière dont ils et elles ont résisté pendant cette période. Mais ils ont encore du mal à s’ouvrir sur ce qu’ils ont vécu.
De nombreux autres villages nécessitent une intervention d’urgence. La ligne de front est située à une vingtaine de kilomètres et Myrolyubivka n’est pas actuellement touché par les bombardements. Toutefois, durant les consultations, on entendait des explosions liées aux opérations de déminage. On sait que dans les environs, il y a deux autres villages qui sont complètement inaccessibles: il n’y a aucun réseau et les routes sont minées, comme souvent dans la région. Nous n’avons pas pu y accéder, mais nous savons qu’il y a plusieurs centaines de personnes qui ne peuvent sortir qu’à pied. Nous ne connaissons pas les besoins médicaux sur place, mais nous suivons l’évolution des opérations de déminage de près, pour pouvoir nous y rendre le plus rapidement possible.
* Robin Ehret est coordinateur de projet MSF, www.msf.ch