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Les migrant·es déshumanisé·es

Les migrant·es déshumanisé·es
Photo prétexte d'illustration - Keystone
Migration

Un article qui vous arrache des larmes. Durant la nuit du 24 novembre 2021, 27 migrant·es au moins1> Vingt-sept corps ont été repêchés, dont six femmes et une fillette, mais leur nombre était probablement de 33. se sont noyé·es en tentant de traverser la Manche de la France vers l’Angleterre. Le journal Le Monde a eu accès aux investigations menées dans le cadre de l’information judiciaire qui a été ouverte à la suite de ce drame 2>Le Monde du 13 novembre 2022 . Un dossier qui contient notamment les transcriptions des échanges téléphoniques (une quinzaine) entre les occupant·es du bateau en train de couler et le Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritime) en charge des secours. Des pièces qui font froid dans le dos.

Après les premiers appels au secours, les services français ont tablé sur le fait que l’embarcation allait dériver vers les eaux anglaises pour ne rien faire. Les autorités britanniques feront d’ailleurs le même calcul et estimeront qu’au vu des vents, le canot retournera dans les eaux territoriales françaises… L’article vire au sinistre: un des passagers explique qu’il a les pieds dans l’eau. «Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises», lui rétorque l’opératrice. Qui poursuit en voix off: «Je t’ai pas demandé de partir.» Même l’ultime détresse – «Nous sommes en train de mourir. Nous sommes dans la mer, dedans, dedans […] il fait froid», ne parviendra pas à sortir les opérateur·trices de leur passivité.

Un navire passe à proximité et identifie le problème. Il lui sera demandé de poursuivre sa route, les secours étant prétendument en route. Ils n’arriveront jamais. C’est un pêcheur qui tombera sur les cadavres flottant à la surface de l’eau en début d’après-midi.

Cette logique de froide bureaucratie, de manque de moyens et de cynisme désabusé est révélatrice. A force de chosifier les migrants, ils en perdent leur humanité. Cela rend possible ce genre de drame. Alors que le réflexe de base devrait être de voler au secours de la personne qui se noie, et de se poser ensuite les questions subsidiaires, les procédures imposées à ces opérateurs participent de cette banalisation de la souffrance humaine.

Les militaires qui ont remisé au vestiaire leur humanité portent bien sûr une lourde responsabilité – le gouvernement français a promis des sanctions «en cas de manquement» – mais les autorités qui mettent en place ces politiques sont tout aussi responsables de ces drames.

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Opinions Philippe Bach Migration

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