Chroniques

La figure du robot

L'actualité au prisme de la philosophie

La figure du robot est de plus en plus présente dans nos sociétés. Mais que représente-t-elle?

Les origines des robots. Le terme «robot» apparaît dans une pièce de théâtre de l’auteur tchèque Karel Capek, écrite en 1920 et intitulée R.U.R (Rossum’s Universal Robots). Le mot tchèque robota désigne le travailleur, l’esclave.

L’argument de la pièce est celui de la dialectique de l’esclave développée par Hegel. L’esclave au service d’un maître parvient à renverser le pouvoir exercé sur lui.

Dans la science-fiction, le robot possède deux versants. Il peut apparaître parfois comme une figure serviable, opprimée par les êtres humains. Il peut aussi prendre la forme d’une menace, prêt à accaparer la place et le pouvoir de son créateur. Cette ambivalence n’est pas propre au robot. On la trouve attachée à d’autres figures.

C’est le cas par exemple de l’extra-terrestre qui, selon les œuvres de science-fiction, peut être bienveillant ou au contraire menaçant. On la retrouve attachée à la figure du migrant. Les migrant·es peuvent être présenté·es par l’extrême droite comme des hordes menaçant les pays européens, tandis qu’ils et elles sont pour l’extrême gauche des victimes du système capitaliste.

Enfin, la même ambivalence a longtemps été attribuée aux animaux sauvages. Ces derniers ont pu être autrefois perçus comme des bêtes dangereuses et sanguinaires qu’il fallait tuer. Aujourd’hui, les grands fauves apparaissent plutôt comme des victimes de l’être humain.

Une menace pour les travailleur·ses? C’est entre autres dans le monde du travail que le robot apparaît actuellement comme une figure menaçante. Il serait capable de priver une grande partie des travailleurs et des travailleuses de leur emploi.

Ce discours sur les robots est pourtant contesté. Dans son ouvrage En attendant les robots (2019), le sociologue Antonio Casilli voit dans l’idée que ces derniers vont prendre la place des humains au travail un discours très exagéré. Il met en avant l’idée que nombre d’entreprises survalorisent les capacités des algorithmes. En réalité, derrière nombre d’activités qui semblent automatisées se cachent des humains.

C’est le cas par exemple des modérateurs de contenu sur les réseaux sociaux. Casilli s’est aussi intéressé aux «fermes à clics» où des travailleur·ses de l’Internet sous-payé·es réalisent des micro-tâches ne pouvant être automatisées. Il peut s’agir par exemple d’étiqueter des images qui servent à alimenter les logiciels de reconnaissance faciale.

Selon ce sociologue, le discours sur la compétence des robots aurait en réalité pour fonction de faire pression sur les personnes salariées afin qu’elles aient moins de revendications salariales.

Une menace pour l’humanité? Dans la science-fiction, le robot peut apparaître comme «humanisé». Il aurait la capacité d’acquérir des compétences humaines telles que la conscience, l’intelligence, les émotions… De ce fait, le robot interrogerait la spécificité de l’être humain et la frontière entre l’humain et le non-humain. Capable de sentiments, il pourrait même se retrouver opprimé par les humains. La question de l’oppression sociale ne serait plus entre humains, mais celle des humains sur les non-humains.

Le discours sur les capacités supposées des robots est critiqué par la chercheuse Laurence Devillers. Elle conteste la vision largement issue de la science-fiction, reprise par les géants de l’informatique, d’une intelligence artificielle forte.

Cette conception considère qu’il serait possible de créer des robots dotés d’une intelligence ou d’émotions comparables à celles de l’être humain. Une telle idée se trouve par exemple illustrée par le robot humanoïde Sophia, qui a été reconnue citoyenne saoudienne de la ville futuriste Neom.

En réalité, pour Laurence Devillers, cette prétention est largement surfaite. Les robots actuels renvoient à une intelligence artificielle faible, spécialisée uniquement dans un domaine. Elle n’aurait rien de comparable avec les humanoïdes que nous présente la science-fiction, comme par exemple ceux du film Blade Runner (Ridley Scott, 1982).

Pour l’auteur Alain Damasio, la science-fiction ne fait pas qu’anticiper le monde futur, elle prépare aussi l’acceptabilité de tel ou tel futur. En cela, selon lui, les auteurs de science-fiction ont une responsabilité quant aux types de futurs qu’ils décrivent dans leurs œuvres.

La tech et la science-fiction. Comme le souligne Agnès Zevaco dans Voyage au centre de la tech (2018), les industriel·les de la Silicon Valley font souvent référence à la science-fiction. On a pu ainsi s’interroger sur la manière dont la SF avait pu inspirer des innovations technologiques à des scientifiques, des ingénieur·es et des industriel·les.

Mais il est possible de décrire une autre relation entre ces deux secteurs. La science-fiction serait aussi utilisée par les industries du technocapitalisme pour exercer une pression sur les travailleurs et les travailleuses (avec la concurrence des robots), pour promouvoir des changements (en mettant en avant le pouvoir de disruption de la technologie) et favoriser l’acceptabilité de certains futurs possibles.

L’autrice est sociologue et philosophe, cofondatrice de l’IRESMO, Paris, http://iresmo.jimdo.com/

Opinions Chroniques Irène Pereira

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