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L’histoire cachée du 2e pilier

Le système suisse de prévoyance vieillesse a une longue histoire, passée au crible dans une série documentaire diffusée dans «Histoire vivante» de la RTS. Reprenant cette mise en perspective historique, Emmanuel Deonna pointe «le scandale du vol de nos rentes par les assurances-vie».
Retraites 

La droite a imposé sa doctrine des trois piliers. Il n’est pas trop tard pour demander des comptes! La hausse impressionnante du prix de l’électricité et du gaz, du charbon, de l’essence et de l’alimentation ainsi que le chiffre de 3% d’inflation ont de quoi nous inquiéter.

La hausse des primes d’assurance maladie continue à juste titre à révolter la très grande majorité de nos concitoyennes et concitoyens. La situation pour la classe moyenne et les couches défavorisées de la population est d’autant plus inquiétante qu’elles ont essuyé une lourde défaite avec l’acceptation de la réforme AVS 21, un projet injuste et discriminatoire qui visait à faire porter aux femmes les sacrifices soi-disant nécessaires pour renforcer le premier pilier en haussant leur âge de retraite à 65 ans.

Or, une série d’excellentes émissions de la RTS vient justement nous rappeler à quel point le système des retraites suisse est insatisfaisant et dysfonctionnel. 1>Le protokoll: l’histoire cachée du deuxième pilier de Claudio Tonetti
et Pietro Boschetti (2022) et «Vieillesse et retraite dans l’histoire», Histoire vivante, rts.ch

Avec le recul de la perspective historique, on comprend qu’il portait en germe, dès son origine, des injustices qui n’ont jamais été résorbées. Comme le rappellent les historiens Mathieu Leimgruber et Pierre Eichenberger, les compagnies d’assurances privées ont compris qu’elles pouvaient faire des affaires en dictant le cadre légal du système de prévoyance vieillesse dès les années 1920. Elles ont toujours plaidé pour une AVS minimale pour pouvoir développer un marché supplémentaire, et pour pousser les gens à contracter un deuxième pilier. Les années 1950 ont été marquées par une croissance économique spectaculaire. Les rentes devaient être plus élevées et indexées au coût de la vie et aux salaires pour faire profiter les aînés de l’embellie économique.

Le développement de l’AVS à partir de 1948, basé sur la primauté des prestations, et celui du deuxième pilier introduit en 1985, axé sur la primauté de cotisations, ont provoqué des tiraillements au sein de la gauche. Une partie des syndicats préférait une cogestion des caisses de pension d’entreprises et voulait étendre le partenariat social à la gestion des retraites. L’aile gauche du PS souhaitait quant à elle développer l’AVS. L’initiative du Parti du travail pour des pensions populaires permettant un contrôle fort du deuxième pilier allait dans ce même sens progressiste. Mais la droite a effectué un intense travail de lobbying au sein du patronat pour la convaincre d’entériner la division des tâches entre AVS et caisses de pension.

Au cours des années 1970, les projets de la gauche visant une vraie coordination entre les deux piliers échouent et la posture patronale se durcit. Depuis sa mise en œuvre, la fortune du deuxième pilier a augmenté de façon impressionnante. Des milliards de francs ont été engrangés dans les années 1990. Les assureurs privés ont profité d’un déficit de connaissances au sujet du cadre légal ainsi que du fonctionnement émietté du deuxième pilier pour s’accaparer une part très importante de l’argent des assuré·es.

Des débats houleux sur la régulation et la surveillance des institutions de prévoyance ont agité la Suisse vingt ans après l’entrée en vigueur de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). Les crises financières internationales de 2001 et 2008, et la baisse spectaculaire des rendements, ont contribué à alimenter les critiques au sujet du système de retraites.

Le même genre de critiques se font entendre actuellement. La fortune du deuxième pilier dépasse aujourd’hui les 1000 milliards de francs. La gestion de cette somme impressionnante intéresse toujours autant non seulement les assurances-vie, mais aussi les banques, les sociétés de placement, les fonds d’investissement et les bureaux de conseil financier.

Il est plus que jamais nécessaire de développer les rentes AVS plutôt que chercher à y faire des économies. A minima, il faut exiger une coordination entre les deux piliers et plus de répartition à l’intérieur du deuxième pilier. Des mécanismes de correction des discriminations dans la LPP doivent être mis en place, en particulier pour les personnes pauvres et les femmes. Il ne faudrait plus confier la gestion d’une assurance sociale à des assureurs privés, continuer à demander à ces derniers des comptes et réclamer une refonte globale du système.

Notes[+]

L’auteur est député socialiste au Grand Conseil genevois.

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