Quel avenir pour le partenariat social?
En Suisse, un grand nombre de personnes est convaincu de vivre dans un pays dans lequel le partenariat social est particulièrement développé. Dans les faits, moins d’une personne salariée sur deux est soumise à une convention collective de travail (CCT), étendue ou pas. Avant la pandémie, cette proportion atteignait presque 2 travailleur·euses sur 3 en Allemagne, 4 sur 5 en Italie et en Autriche leur quasi-totalité était soumise à une CCT. Cela signifie qu’en Suisse seule la moitié des employé·es est protégée par une convention, alors que l’autre moitié dépend exclusivement du droit du travail, lequel est fondé sur des principes ultralibéraux, prônant la flexibilité et très peu de régulation. Sans parler de la faiblesse des sanctions pour les employeurs indélicats.
Comme au niveau fédéral la loi ne fixe aucun seuil salarial minimal, les «chanceux» soumis à une CCT ont en principe un salaire minimum garanti. Ces salaires font l’objet de négociations entre les signataires des conventions, les partenaires sociaux (syndicats et associations patronales). Malheureusement, ces dernières années, les salaires minima, comme les salaires réels, ont rarement augmenté. Dans la majorité des cas, nous avons assisté à un refus systématique de la part des associations patronales de toute amélioration de la rémunération des travailleuses et des travailleurs. Exemple par excellence, l’hôtellerie-restauration: ce secteur est régi depuis de nombreuses années par une CCT nationale étendue avec une déclaration de force obligatoire; le salaire minimum brut pour un·e employé·e non qualifié·e était de 3400 francs en 2010 et il l’est resté jusqu’en 2015, lorsqu’il a été finalement augmenté de… 7 francs, brut évidemment! A partir du 1er janvier 2023 le minimum sera de 3582 francs. En treize ans, ce salaire aura ainsi augmenté de 182 francs par mois, soit de 5%. En revanche, les loyers ont augmenté de 20% entre 2005 et 2020, les primes d’assurance-maladie ont doublé en vingt ans. Rappelons que l’on se réfère à des moyennes nationales, puisque dans certains cantons comme Genève, la situation est bien plus inquiétante.
La conséquence de ces énormes injustices est l’apparition d’un phénomène commun aux sociétés occidentales: les working poors, travailleuses et travailleuses qui demeurent dans la pauvreté du fait de la faiblesse de leur revenu, tout en travaillant tout au long de l’année. Et ce sont les finances publiques, plus particulièrement les finances cantonales, qui doivent combler avec leurs prestations sociales cette intransigeance patronale. Les Cantons ont ainsi une marge de manœuvre importante avec leur propre politique sociale et le salaire minimum légal devient dès lors un outil stratégique pour lutter contre la pauvreté et le dumping salarial.
En 2017, le Tribunal fédéral a déjà débouté les associations patronales qui contestaient l’introduction du salaire minimum cantonal de 20 francs par heure à Neuchâtel. La plus haute instance judiciaire suisse avait reconnu non seulement la légalité de cette mesure mais aussi sa conformité avec le droit des autorités cantonales. Depuis, quatre autres cantons ont introduit un salaire minimum légal: le Jura, le Tessin, Genève et Bâle-Ville. La particularité de ce dispositif à Genève et à Neuchâtel est sa primauté sur des salaires minima plus bas, fixés par des conventions collectives. C’est notamment le cas des CCT de l’hôtellerie-restauration, de la coiffure, du nettoyage ou de la blanchisserie.
Déboutées en justice, battues dans les urnes, certaines associations patronales ont alors commencé à mener une véritable guerre contre les working poors, en essayant de modifier les règles du jeu. En constituant une large alliance de 27 associations économiques et sectorielles, ces patrons ont trouvé en l’obwaldien Erich Ettlin, conseiller aux Etats du Centre/PDC, leur meilleur allié. 1>«Les salaires minimaux cantonaux visés» (dépêche ATS), Le Courrier, 27 octobre 2022. Difficile d’imaginer qu’à Sarnen, la question soit une priorité pour les habitant·es, mais le conseiller obwaldien se bat bec et ongles depuis décembre 2020 pour «protéger le partenariat social contre des ingérences discutables». Pour protéger les intérêts économiques de quelques groupes, le Conseil des Etats et une commission du Conseil national ont déjà adopté la «motion Ettlin» contre le vote démocratique de la population, contre des décisions de justice et contre le principe du tripartisme.
Ettlin est-il au courant que, selon l’Organisation internationale du travail, le dialogue social n’est pas une exclusivité des partenaires sociaux? Il peut être établi aussi grâce au tripartisme, c’est-à-dire ce processus de multiples relations entre syndicats, employeurs et autorités gouvernementales. Contre l’arrogance de certains politiciens et de certains patrons, dans les mois à venir, le tripartisme et les droits des travailleuses et des travailleurs devront probablement être défendus encore une fois dans les urnes électorales et dans la rue, à Genève comme à Sarnen.
Notes
* Secrétaire syndical, Genève.