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«D’abord développer le réseau, puis le rendre gratuit»

Cet été, l’Allemagne a testé pendant trois mois le «9-Euro-Ticket», un titre mensuel permettant de circuler à prix cassé sur tout le réseau ferré national et dans les bus1. La revue Pages de gauche a demandé à EVG, le principal syndicat allemand des transports, de tirer le bilan de cette mesure anti-inflationniste phare. Entretien.
Transports

Le «9-Euro-Ticket» a certainement été la décision politique de l’été. Cette mesure de lutte contre l’inflation prise par la coalition rassemblant le Parti social-démocrate, le Parti libéral-démocrate et l’Alliance 90/Les Verts au pouvoir en Allemagne permettait à tout le monde de prendre pendant trois mois les transports publics de proximité dans tout le pays pour 9 euros par mois. Si cette politique publique a connu un énorme succès populaire, Pages de gauche a voulu savoir ce qu’en pensait le principal syndicat du secteur. Pour ce faire, nous avons posé quelques questions à Oliver Kaufhold, chef de la communication du Eisenbahn und Verkehrsgewerkschaft (EVG – Syndicat des chemins de fer et des transports).

Quel était, avant cet été, l’état du réseau de transports publics de proximité en Allemagne?

Oliver Kaufhold: Le 9-Euro-Ticket a mis en évidence les échecs des politiques des transports de ces dernières décennies. Le personnel manque, le matériel roulant manque et l’infrastructure est à la limite de sa capacité. Nous défendons des transports publics de proximité de qualité et abordables. Si l’on veut que la population prenne davantage le bus et le train, il faut investir dans l’infrastructure, le matériel roulant et le personnel.

De quelle manière les entreprises de transport et les pouvoirs publics ont-ils préparé l’introduction de cette mesure?

Le temps de préparation d’à peine trois mois était tout simplement trop court. Les entreprises de transport ont essayé de rapidement recruter du personnel, ce qui n’a que partiellement réussi. Il n’a pas non plus été possible de faire apparaître comme par magie le matériel roulant manquant. Résultat: des trains bondés, des quais encombrés, des problèmes de sécurité, une augmentation des comportements agressifs.

Comment la mise en œuvre de cette politique s’est-elle répercutée sur l’utilisation des transports publics?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: plus de 50 millions de billets ont été vendus en trois mois, et – selon les sondages – 43% des client·es ont utilisé les transports publics de proximité pour la première fois. Cela démontre largement que la population profite des offres dont le tarif est attractif et l’utilisation simple et transparente. Payer une seule fois pour ensuite voyager dans toute l’Allemagne était l’autre grand avantage de la mesure. En temps normal, 27 communautés tarifaires aux fonctionnements tous différents régissent les transports publics de proximité allemands. Il faut mettre fin à cette situation.

Quel bilan le EVG tire-t-il de cette expérience?

Il y a du positif et du négatif. La forte demande a prouvé que la population souhaite avoir accès à des transports publics de proximité attractifs en termes de prix et de qualité. Nous devons maintenant y travailler. Pour pouvoir accueillir et transporter davantage de personnes, les transports publics de proximité doivent être développés. L’essentiel est d’investir dans le personnel, le matériel roulant et l’infrastructure.

Etes-vous favorables à la prolongation du 9-Euro-Ticket? Si oui, sous quelles formes?

Nous nous sommes opposés à sa poursuite afin de ne pas simplement prolonger la surcharge de travail du personnel. Entretemps, un autre paquet d’aides du gouvernement fédéral est sur la table, qui prévoit un abonnement national aux transports en commun dans une fourchette de prix comprise entre 49 et 69 euros par mois. Il s’agit maintenant d’affiner cette proposition. Nous saluons le fait que le gouvernement fédéral souhaite affecter 1,5 milliard d’euros à cet effet. Les Länder doivent maintenant en faire de même afin de développer un concept prenant en compte les intérêts des salarié·es. C’est la raison pour laquelle les syndicats doivent également être invités à la table des négociations.

Sur le long terme, votre syndicat est-il favorable au principe de gratuité des transports publics?

Nous nous sommes prononcé·es dès 2021 en faveur de la gratuité à long terme des transports publics de proximité. Un abonnement à 365 euros par année ou la variante actuellement proposée par le gouvernement fédéral pourraient constituer des étapes intermédiaires raisonnables. Le plus important est de respecter l’ordre suivant: d’abord développer le réseau, puis le rendre gratuit, car cela ne fonctionne pas dans l’autre sens.

Article paru dans Pages de gauche no 185, automne 2022; sa version intégrale est disponible en français et en allemand sur https://pagesdegauche.ch/

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