Genève

Tensions au ras du bitume

L’évolution du réseau routier cantonal vers davantage de multimodalité exacerbe les fronts entre pro-voitures et pro-mobilité douce.
Tensions au ras du bitume 1
A Genève, le politique a fait de la mobilité un thème clivant. JPDS
Transports

A Genève comme chacun le sait, la mobilité est un thème explosif. Les évolutions, et a fortiori, les changements de paradigme sont autant de mèches de bouquets de feux d’artifice. Dernier épisode en date, la promulgation, lundi 12 octobre par le Conseil d’Etat, d’un arrêté établissant de nouvelles limitations de vitesse à l’échelle cantonale. Avec, notamment l’établissement du 30 km/au centre ville, de jour comme de nuit, sur le réseau de quartier, comme sur les axes structurants (lire ci-dessous).

Cette décision a fait bondir. Le Touring club suisse (TCS) a annoncé un recours, comme l’a révélé 20 Minutes. «Globalement, nous sommes d’accord avec le projet, mais nous regrettons de ne pas avoir été écoutés s’agissant de la vitesse sur les axes structurants que nous voulions garder à 50 km/h», indique François Membrez, son président. A sa suite, PLR et UDC veulent aussi déposer un recours. Selon eux, une décision d’une telle importance aurait dû en passer par un débat politique au Grand Conseil. La voie de l’arrêté, serait, selon eux, un «déni de démocratie». Le Département des infrastructures (DI), et son patron, le centriste Serge Dal Busco, affirme que la publication d’un arrêté «s’inscrit dans la suite logique de la procédure qui résulte de la compétence de l’exécutif». Le DI rappelle par ailleurs que ces mesures sont le fruit d’une large consultation.

Eruptions genevoises

Qu’à cela ne tienne, sur les réseaux sociaux, le conseiller national PLR Christian Lüscher a littéralement allumé le conseiller d’Etat Serge Dal Busco dans un post, bien vite rejoint dans les commentaires par nombre de militant·es de droite. Le libéral-radical n’en est pas à son coup d’essai. Il n’est par ailleurs pas le seul. Son collègue au niveau national, le centriste Vincent Maître, pourtant du même parti que Serge Dal Busco, est également prompt à s’offusquer de toute mesure, même provisoire, visant à écarter le trafic motorisé ou à le restreindre.

Changement de paradigme

Il faut dire que ces quatre dernières années, les sujets d’agacement n’ont pas manqué pour les adeptes de la voiture au centre-ville. Dans le sillage, en 2016, de l’acceptation de la Loi pour une mobilité cohérente et équilibrée (LMCE), qui consacrait la prééminence des transports publics et de la mobilité douce à l’hypercentre, le paradigme a évolué. Serge Dal Busco a ainsi fait voter ou avancer plusieurs changements. «Il y a eu des décisions malheureuses, relève François Membrez. Certains projets ont été trop loin, certains acteurs poussent vers les extrêmes.»

Tensions au ras du bitume

«Genève est très en retard et un rattrapage s’imposait Vincent Kaufmann

La limitation de la vitesse de circulation sur tout le territoire cantonal semble être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, quand bien même des projets axés sur la mobilité motorisée hors du centre-ville ont également été mis en route. Au TCS, François Membrez pense qu’il «est possible de satisfaire toutes les catégories d’usagers en passant par le dialogue et le compromis».

Vision claire

Polémiques et attaques ne semblent pas pouvoir détourner le magistrat du Centre de son but. «Depuis le début de la législature, notre stratégie vise clairement à favoriser activement le report de la voiture vers les transports publics et les mobilités douces dans les zones urbaines.» Il s’agit de faire de la place et de «faciliter le trafic fluide» des véhicules professionnels et des transports collectifs. Le conseiller d’Etat veut, en parallèle, renforcer l’offre en transports publics et développer les infrastructures cyclable et piétonne. «Serge Dal Busco a eu un certain courage politique, analyse Vincent Kaufmann, sociologue et directeur du laboratoire de sociologie urbaine (Lasur) de l’EPFL. Genève est très en retard et un rattrapage s’imposait.»

Cette volonté affichée fâche. Une quasi exception en Suisse, voire en Europe. «Ce qui est frappant à Genève, c’est que ces questions se sont cristallisées comme un débat de politique partisane», s’étonne Vincent Kaufmann. Une spécificité que confirme Sonia Lavadinho, anthropologue urbaine et responsable du bureau Bfluid. La spécialiste indique qu’ailleurs en Suisse, et en particulier du côté alémanique, «ces questions ne font plus débat depuis trente ans».

Le politique aurait ainsi fait de la mobilité un thème clivant, la droite s’opposant régulièrement à toute entrave au trafic individuel motorisé. «Ce n’est pas propre à Genève, mais, alors qu’auparavant les politiques étaient en avance sur leur temps, aujourd’hui, ils sont en retard sur la population», affirme Sonia Lavadinho. En effet, les enquêtes menées à l’EPFL montrent que, si la voiture était reine dans les années 1990, ce n’est plus le cas. «Les choses ont évolué depuis 2010, détaille Vincent Kaufmann. Les usagers délaissent progressivement la voiture pour d’autres modes de transport. La majorité est multimodale et les automobilistes exclusifs sont devenus une petite minorité.» «Une minorité menacée, mais bruyante. Les réseaux sociaux ont également rendu le discours plus extrême et confortent les différents groupes de défense dans leurs opinions», souligne Sonia Lavadinho.

Un virage que n’auraient pas saisi une partie des politiques, mais qui se perçoit en observant l’émergence des associations d’habitant·es et de parents dans le débat sur la mobilité. Les pétitions pour des rues pacifiées et plus sûres se multiplient, quartier par quartier.

Combat d’arrière-garde

Pour les deux chercheur·euses, la défense de la voiture constitue un combat d’arrière-garde. «De l’incarnation de la liberté, la voiture est devenue une obligation encombrante. C’est cher et cela fait perdre du temps», explique Vincent Kaufmann. Sonia Lavadinho va plus loin: «Les politiques font parties des catégories plutôt âgées de la population, au sein desquelles sont davantage représentés des automobilistes exclusifs.»

Pour autant, elle estime qu‘il faut «rassurer les automobilistes exclusifs. C’est la fin de la prédominance de la voiture, mais il y en aura encore de la place pour les quelque 10% qui ne  pourront faire autrement». A l’en croire, nous n’en sommes qu’au début des métamorphoses des espaces urbains et donc au début des crispations.

Le 30km/h s’impose en Romandie

Les cantons romands ont pris des mesures pour diminuer la vitesse des automobiles en ville. Pionnière en la matière, Lausanne a introduit, en septembre 2021, le 30 km/h la nuit (entre 22h et 6h du matin) sur 60 kilomètres de rues. Un premier bilan positif a été tiré en début d’année par les autorités, la majorité des automobilistes ayant réduit leur vitesse, à 35 km/h en moyenne.

Vevey a fait de même un an plus tard sur l’ensemble du territoire communal. Payerne étudie la mesure. Le Plan directeur de la Ville de Lausanne prévoit de généraliser le 30 km/h en journée dès 2030, comme à Zurich d’ailleurs. Le projet sera débattu au Conseil communal le 8 novembre. La pétition des Jeunes PLR demandant la généralisation du 50 km/h devrait, elle, être classée par le Grand Conseil vaudois.

Dans le canton de Neuchâtel, le chef-lieu a décidé en septembre 2020 d’instaurer le 30 km/h comme référence en matière de vitesse. Ceci afin de favoriser le vélo. La limite de 50 km/h doit désormais relever de l’exception. Seul le PLR avait fustigé le rapport qui contenait cette proposition lors des débats au Conseil communal. La majorité de la surface du territoire de la commune de Neuchâtel se trouve d’ailleurs déjà en zone 30. Les tronçons restants sont adaptés progressivement. La Chaux-de-Fonds devrait également limiter la circulation à 30 km/h sur l’ensemble de son périmètre urbain d’ici 2030.

Si les vallées valaisannes restent encore très motorisées, les autorités ont voulu pacifier les villes. Ainsi Sion teste actuellement le 30 km/h nocturne sur deux routes communales. En cas de résultats concluants, l’extension de la mesure est envisagée. Quant à la ville de Fribourg, elle entend limiter la vitesse à 30 km/h sur trois quarts de son réseau routier, de jour comme de nuit, contre 38% aujourd’hui. Et ce dès fin 2023. CHRISTIANE PASTEUR / JULIE JEANNET

Ralentir les centres

L’arrêté promulgué par le gouvernement concerne quelque 450 axes sur l’entier du canton. Dans les grandes lignes, dans les quartiers de l’hypercentre et du centre, Saint-Gervais ou la Jonction, on roulera à 30 km/h la journée et 20 km/h la nuit. Les axes structurants de l’hypercentre seront soumis au 30 km/h en tout temps. En dehors, les routes du réseau primaire urbain seront à 30 km/h la journée, et 50 km/h la nuit. Cette stricte limitation à 30 km/h concernera également les traversées de localités. La ceinture urbaine qui comprend le U lacustre, la route du pont Butin ou de Saint-Julien resteront à 50 km/h, sauf la nuit pour celles où les valeurs maximales de bruit sont dépassées. Là, la limitation sera abaissée à 30 km/h. Enfin, sur les routes de campagne, celles menant notamment à Thonon ou Vernier, les vitesses seront comprises entre 50 et 80 km/h. La nuit, les tronçons les plus bruyants seront rabaissés à 50 km/h. MPO

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