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Comment arrêter l’ouragan avec les mains?

Déplorant une dépolitisation qui a permis la victoire de l’extrême-droite aux législatives, le syndicaliste genevois Umberto Bandiera estime urgent pour la gauche italienne de «réorganiser une représentation progressiste qui parle à tout le pays, et plus particulièrement aux régions historiquement oubliées.»
Italie

Alors que les nouvelles et nouveaux élu·es se préparent à s’installer à Rome dans les magnifiques salles du Palais Montecitorio et Palais Madama, respectivement sièges de la Chambre des députés et du Sénat, l’Italie essaie de reprendre connaissance après l’écrasante victoire électorale de l’extrême-droite représentée par Frères d’Italie. En fait, il y a un air lourd en Europe ces derniers temps: comment oublier l’énième percée électorale du Rassemblement national en France ou l’exploit de Vox en Espagne et de Chega au Portugal?

Il y a tout juste quelques semaines, le parti des Démocrates de Suède, avec ses sympathies néonazies, est devenu le deuxième plus grand parti du pays avec un score de plus de 20%. Ce néofascisme décomplexé a désormais abandonné toute ambiguïté et s’approche de plus en plus du pouvoir. Et en Italie comme en Suède, ils y sont parvenus. Dans l’attente que les passages institutionnels romains se terminent et que le nouveau gouvernement voie le jour, une analyse est déjà possible sur le dimanche électoral italien.

Abstentionnisme en hausse

Si l’abstentionnisme était un parti, ce serait le premier du pays. Jamais dans leur histoire républicaine les Italiens n’avaient aussi peu participé aux élections. Seul·es 64% des électrices et des électeurs ont voté, presque 10% de moins qu’en 2018. Mais ces pourcentages cachent en réalité de grandes différences territoriales: si presque 70% des Milanais·es ont exprimé leur vote, à Naples, les électeurs et électrices étaient moins que le 50%. En réalité, dans toutes les régions du sud ainsi qu’en Sicile et en Sardaigne, la participation aux élections a été inférieure à 50%, très souvent entre 30% et 40%. Il s’agit d’une tendance qui vient de loin et qui ne fait que s’accentuer à chaque occasion, comme dans beaucoup de démocraties occidentales.

Selon les premières analyses, il y a une corrélation directe entre inégalités sociales et abstentionnisme: les régions à plus bas revenu ou moins peuplées sont aussi celles avec la participation électorale la plus faible. Ayant perdu tout sentiment de pouvoir peser dans les choix fondamentaux concernant leurs territoires, et se faisant encore moins d’illusion aux niveaux national et international, une partie de la population pratiquerait ainsi une sorte d’auto-exclusion de la vie démocratique.

Les Italien·nes de Suisse

Ce sentiment d’auto-exclusion est bien présent aussi parmi les nombreux et nombreuses transalpin·es qui habitent en Suisse, où presque un demi-million a le droit de voter. En 2001, Rome réussissait à faire approuver la loi fixant les modalités d’exercice du vote pour les Italien·nes de l’étranger. Depuis le renouvellement du Parlement en 2006, le vote par correspondance aurait dû devenir une habitude pour qui réside en dehors du pays.

En réalité, les choses sont très différentes: dimanche dernier, seul·es 28% des Italien·nes de Suisse ont exprimé leurs préférences, avec un clair soutien pour la coalition de centre-droite. Petite curiosité: les candidat·es «helvétiques» ont en revanche fait un résultat extraordinaire. Sur les 7 élu·es possibles à l’étranger dans tous les continents, deux futurs députés sont actifs en Suisse et rejoindront le Palais Montecitorio: il s’agit du zurichois Simone Billi pour le centre-droite et du genevois Toni Ricciardi pour le Parti démocrate.

Pour une refondation de la gauche

Pour le centre-gauche italien, le constat est amer: Frères d’Italie réussit à récolter tout seul plus de voix que tous les partis de la coalition réunis. Il est urgent de réorganiser une représentation politique progressiste avec une vision et un programme qui parlent à tout le pays, et plus particulièrement aux régions historiquement oubliées. Comme le dit le politologue Carlo Galli, «la gauche est pour le moins confuse. En gros, elle ne sait plus quelle est sa mission. Elle ne peut pas déterminer sa finalité existentielle en tant que force politique en ne faisant ce qu’elle a fait jusqu’ici, c’est-à-dire être le garant de la gestion du système construit par d’autres, à des fins autres que les fins populaires auxquelles la gauche doit être orientée.»

* Responsable de la commission de solidarité internationale de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS).

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