Qatarsis
Du 20 novembre au 18 décembre se tiendra la Coupe du monde de football, au Qatar. Un pays où on ne voit jouer au football que sur des écrans, mais qui, pour accueillir la plus importante compétition mondiale de foot, le fera jouer dans des stades dont la construction et celle des infrastructures liées auront coûté la vie à des milliers de travailleurs – 6500, selon une estimation crédible, morts sur les chantiers ou dans leurs lieux de rétention entre 2011 et 2020. Pour être choisi comme hôte du Mondial, le Qatar, on le sait, à eu recours à la méthode la plus sûre: non pas convaincre qu’il était le meilleur, mais prouver par l’acte qu’il était celui qui pouvait payer le plus cher les votes de ceux qui choisissent le pays hôte du festival de ballaupied. Le Groenland sait ce qu’il lui reste à faire s’il veut organiser la coupe du monde de course de chameaux.
Pour célébrer la fête qatarie du foot, la Ville de Genève proposera une fan zone hivernale sur la plaine de Plainpalais avec, entre autres, deux tentes chauffées et cinq écrans. Cette initiative de la Ville de Genève, ci-devant capitale mondiale des droits humains, revient à légitimer le choix crapuleux du Qatar, Etat qui ne respecte aucune des valeurs dont Genève se targue d’être le symbole, comme pays hôte d’une manifestation sportive d’ampleur mondiale.
Au Conseil municipal, la gauche a déposé un projet de délibération demandant au Conseil administratif d’utiliser la fan zone du Mondial pour une campagne de sensibilisation sur les conditions dans lesquelles le Qatar a été choisi pour accueillir cette compétition, sur ses effets néfastes et sur la réalité des droits humains au Qatar, engagé dans un conflit armé au Yémen, et où les droits fondamentaux sont régulièrement violés, notamment ceux des femmes, des personnes migrantes, LGBT et, massivement, ceux des travailleurs. Parallèlement et indépendamment, un impoligraphe connu de nos services a lancé une pétition demandant que Genève renonce purement et simplement à installer une fan zone à Plainpalais ( Signer en ligne: https://chng.it/mGC8vWPXt7; Télécharger: https://www.fichier-pdf.fr/2022/09/18/petition-mondial). Genève n’est évidemment ni comptable, ni coupable, ni responsable du choix du Qatar pour accueillir le Mondial de football, mais Genève se veut le symbole de valeurs et de principes que ce choix méprise, ce qu’elle ne peut ignorer, pas plus qu’elle ne peut ignorer qu’un événement sportif mondial ne peut être dénué d’enjeux politiques, à commencer par la défense des droits fondamentaux et l’urgence climatique.
Le Mondial qatari est apparu d’une telle absurdité, comme la manifestation d’un tel mépris, d’une telle ignorance volontaire de l’état du monde et du Qatar, que les appels au boycott se sont multipliés. Qu’ils aient eu écho à Genève, comment aurait-il pu en être autrement, dans la «capitale des droits humains», siège de l’Organisation internationale du travail et du Conseil des droits de l’homme, dans une ville qui a décrété l’«urgence climatique»? La seule question était celle de la réponse à donner au «Mondial de la honte». Appeler au boycott? On ne saurait le faire aussi bien qu’Eric Cantona1>https://www.facebook.com/boycottcdmqatar2022/: «Combien de millier de morts, pour construire ces stades, pour au final quoi, amuser la galerie deux mois… et tout le monde s’en fout… La caricature même de ce que l’homme est capable de porter en lui comme saloperie extrême! Le seul sens de cet évènement, on le sait tous, c’est le pognon. Il est plus fort que tout…» Plus fort que les droits humains, plus fort que l’urgence climatique: la compétition se déroulera dans des stades climatisés à ciel ouvert, dans un pays qui, même hors Mondial, émet sept fois plus de CO2 par habitant que la France…
Utiliser la fan zone pour sensibiliser celles et ceux qui la fréquentent à la réalité du Qatar et aux conditions de son choix pour accueillir le Mondial, comme le demande la gauche, c’est une bonne idée. Mais on peut aller plus loin que ce rappel à une réalité qu’on ne peut guère ignorer que volontairement. Aller plus loin et parler plus clairement: demander que Genève renonce à la fan zone prévue, comme le demande notre pétition – et comme d’autres villes, certes moins glorieuses, ont décidé de le faire.
Il n’est pas trop tard: à défaut de pouvoir l’empêcher là où elle se tient, sur des fosses communes, Genève peut au moins ne pas célébrer la grande, sinistre et meurtrière mascarade qatarie.
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2 https://www.facebook.com/boycottcdmqatar2022/
Notes
* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.