Chroniques

La liberté est un aigle bleu

Écrire, l’air de rien

Je ne sais plus exactement comment cette histoire a commencé. Sans doute par un coup de téléphone, comme de nombreuses histoires. Oui voilà, c’était ça. Un coup de fil, c’est avril, il fait encore trop froid et je suis dans la rue, murmures de ville en fond sonore.

– Je me demandais si t’étais partante pour animer des ateliers d’écriture? Ce serait un projet de quatre ateliers avec des demandeurs d’asile.
– Euh, oui, pourquoi pas.
– Tu l’as déjà fait?
– Euh, non.
– Tu verras, c’est sympa.

Alors voilà, ça a commencé comme ça. Après avoir dit oui, j’ai paniqué. J’ai emprunté tous les livres de la médiathèque sur les ateliers d’écriture (il n’y en a pas beaucoup). Je crois que j’ai même regardé des trucs sur Youtube. J’ai réfléchi, beaucoup. Le défi était de taille. Difficulté supplémentaire, je ne savais ni combien de personnes j’allais avoir ni si elles parlaient français un peu, beaucoup ou pas du tout. Ni si elles avaient commencé à guérir de leurs blessures liées à l’exil ou si tout était encore à vif.

J’ai préparé quelque chose qui me paraît un peu nul à présent. C’était le premier atelier: je ne savais pas encore comment m’y prendre.

Après avoir percé la brume du Pas-de-Calais dans ma Clio, une petite voiture qui appartenait à ma grand-mère et que j’appelle sans aucune originalité Titine, je suis arrivée. Quatre personnes m’attendaient. Une bénévole et trois exilés, arrivés là après s’être épuisés trop longtemps à tenter de contourner les barbelés, les chiens et les matraques à la frontière franco-britannique. Ils avaient décidé de rester en France. Et ils observaient cette jeune femme mal assurée expliquer pourquoi elle était là et ce qu’on allait faire ensemble: écrire.

Comme je savais que la langue pouvait poser problème, je m’étais réfugiée dans les calligrammes comme on se fourre sous une couette en hiver. Un dessin, c’est bien, c’est universel, on peut écrire en arabe ou en français dedans, c’est pareil.
Je ne me souviens pas de grand-chose, hormis que je suis sortie de là en me disant: ça va, ça ne s’est pas trop mal passé. Et du texte d’un jeune homme aux yeux ovales sous des sourcils touffus.

«La liberté est un aigle bleu heureux au-dessus d’une cour d’école. Quand je trouve la liberté, je me sens heureux dans le bleu ciel.»

Cet atelier fut le premier d’une longue série. Depuis cinq ans, je me rends régulièrement dans des lieux en marges. De ces lieux qu’on ne voit pas, dans lesquels on n’entre pas si on n’a pas quelque chose de précis à y faire; de ces gens qu’on ne rencontre pas. Des foyers où l’on accueille des enfants meurtris, des maisons où se réfugient des femmes qui tentent d’échapper à l’infatigable violence des hommes, des prisons aux murs jaune pipi défraîchis, des salles communales de villages où le dernier commerce, une boulangerie, a fermé depuis vingt ans déjà.

Et partout, avant d’y aller, cette même phrase: «Vous savez, ils et elles n’ont pas forcément l’habitude décrire et la plupart n’ont jamais lu un livre. Mais on a envie d’essayer.»

Alors j’arrive, avec ma mallette qui contient bien d’autres choses que du papier et des stylos. Des sabliers, des dés, des étoiles phosphorescentes, des livres bien sûr, des grands et des tout petits, des boîtes, des carnets, des post-it.

J’arrive chaque fois en me disant: peut-être que ça ne va pas marcher, cette fois. Je prends toujours quelques secondes avant de frapper à la porte d’un nouveau lieu. Je prends une grande inspiration et je toque.

Une fois par mois, je vais essayer de vous raconter ce qui se passe juste après, derrière ces portes, quand on prend les carnets et les stylos. J’entame ainsi une nouvelle série de chroniques avec Le Courrier, après celles de 2016 autour des mineurs isolés étrangers1>A l’été 2016, Rozenn Le Berre a publié «Au bureau des exilé·es», une série hebdomadaire tirée de son expérience au sein d’une administration française chargée de l’audition de jeunes migrants non accompagnés. Ces chroniques ont constitué les prémices de son ouvrage De rêves et de papiers (éditions La Découverte, 2017), ndlr..

Au plaisir de vous retrouver!

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Rozenn Le Berre est journaliste et autrice.

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mercredi 14 septembre 2022

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