Compenser ou penser autrement?
A l’infamie, le Qatar et la Fédération internationale de football (FIFA) ont choisi d’ajouter l’indécence. Attribuée grâce à la corruption, édifiée par des forçats, la Coupe du monde 2022, qui débutera dans quatre mois, affiche pourtant les plus vertueuses prétentions. Fin mars, la FIFA célébrait ainsi les progrès sociaux réalisés par le pays golfien depuis l’attribution de la compétition. Une façon d’exonérer – à l’orée du ramdam planétaire – le comité d’organisation pour les milliers de travailleurs morts durant la construction des stades, dans des circonstances la plupart du temps non élucidées. L’opération de com’ était d’autant plus déplacée que les avancées légales alors invoquées sont surtout cosmétiques.
Plus surprenant encore, l’Emirat gazier et la fédération sise à Zurich affirment avec aplomb que la principale compétition sportive après les Olympiades sera «neutre» du point de vue climatique. Un exploit encore jamais réalisé en nonante-deux ans de grands-messes footballistiques mais que le pays possédant la pire balance carbone par habitant·e de la planète se targue de réussir malgré la construction de huit stades climatisés en plein désert – végétal et humain1>Les huit stades pourraient accueillir 14% de la population du pays! – et le prochain transfert par les airs d’un million et demi de visiteurs et de visiteuses, dont une partie fera la navette, entre chaque match, avec son hôtel de Dubaï, Koweït ou Oman…
La promesse, démontée par l’ONG belge Carbon Market Watch (lire notre Focus), prêterait à rire si elle n’incarnait pas une tendance de plus en plus affirmée au greenwashing climatique. On ne connaît plus un secteur où ne fleurissent les mentions «neutre pour le climat», «carbon free» ou «100% compensé», sans qu’on ne sache trop comment cette production ou ce service s’offre à nous – prétendument – sans impacter notre avenir commun. Un flou savamment entretenu, car derrière l’étiquette, l’éthique est rarement présente. Le NewClimate Institute a analysé les engagements de compensation à 100% de vingt-cinq grands groupes (dont Nestlé, Ikea, Google ou Amazon), qui représentent 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Or les calculs de l’ONG allemande indiquent que la compensation n’atteindrait en moyenne que 40%.
Le Mondial du Qatar pourrait être encore plus éloigné de l’objectif. La faute, en premier lieu, à la FIFA, qui a vendu sa compétition à un pays ne disposant pas des infrastructures adéquates. Et, plus fondamentalement, à la logique systémique de croissance infinie, dont les «compensations» – les fameux crédits carbone – ne sont que le cache-sexe climatique.
Comme un symbole, la prochaine Coupe du monde, en 2026, verra 48 nations invitées au lieu de 32. Et cette fois, le Qatar n’y sera pour rien.
Notes